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Sortir du guêpier-Centrafrique par le droit ? Autour de la décision du 15 avril 2015 de la Cour constitutionnelle

RCA_ArmoiriesAVERTISSEMENT :

1- Contrairement aux articles précédents sur l’Accord de Brazzaville et sur les tentations fédéralistes en Centrafrique, le choix est fait de ne pas scinder le présent texte en plusieurs billets

2- Le présent texte se veut avant-tout un écrit juridique doctrinal et donc une oeuvre de science juridique. Il a été écrit avec une intention particulière pour les étudiants et chercheurs de la Faculté des Sciences juridiques et politiques de l’Université de Bangui que des circonstances indépendantes de ma volonté, mais conformes à certains usages tout banguissois, m’ont empêché de rencontrer et d’instruire à nouveau en ce mois d’avril, comme il avait été convenu. Ce texte n’en est pas moins destiné à tous.

Jean-François Akandji-Kombé

RÉSUMÉ :

La Cour constitutionnelle vient de rendre une décision importante sur le séquencement temporel des opérations à réaliser avant la fin de la période de transition, programmée pour août 2015. Sa décision est à lire à la lumière d’enjeux fondamentaux qui étaient sous-jacents à la question posée, relativement à la légitimité des institutions de transition et au terme de la période de transition, mais aussi en tenant compte d’une inconnue : le prochain Forum national de Bangui.

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Sortir du guêpier-Centrafrique par le droit ? A propos de la décision de la Cour constitutionnelle de transition du 15 avril 2015 (n° 005/15/CCT).

Par

Jean-François AKANDJI-KOMBÉ

Professeur à l’École de Droit de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Doyen honoraire de la Faculté de Droit de Caen (Normandie, France), Président de l’IpaP – Institut panafricain d’action et de prospective

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Ordonner les urgences et les échéances de l’action, tisser une cohérence logique entre les interrogations fondamentales dont dépend l’avenir de la République centrafricaine, sa survie en tant qu’Etat et en tant que société politique, voilà un défi qui, dans ce pays des désordres structurels, avait tout de l’équation insoluble ; au moins jusqu’à la décision du 15 février de la Cour constitutionnelle de transition.

Pour qui n’est pas familier des affaires centrafricaines, il importe de rappeler les termes de ladite équation.

Le premier élément en est la « transition » elle-même ou, pour être précis, la transition constitutionnelle. Entamée à la suite du coup d’Etat de la « Seleka » du 24 mars 2013 qui a porté Michel Djotodia au pouvoir, sur la base de la Charte constitutionnelle de transition (CCT) du 18 juillet 2013, elle devrait impérativement s’achever en août 2015, le délai butoir constitutionnel de 24 mois, prorogation comprise, étant alors écoulé (art. 102, paragraphe 1 de la CCT). A vrai dire, la CCT prévoit bien une ultime possibilité de prolongation, à travers une disposition qui se lit ainsi : « En cas de nécessité, la durée de la transition peut être examinée par la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de la CEEAC sur proposition conjointe et motivée du Chef de l’Etat de la Transition, du Premier Ministre et du Président du Conseil National de Transition » (article 102, paragraphe 2 de la CCT). Le fait est cependant que, alors que nombre d’acteurs politiques centrafricains y songent sérieusement, les forces représentatives de la Communauté internationale dans ce pays ont clairement et péremptoirement exclu le recours à cette disposition. Ainsi, août 2015 se présente bien, aujourd’hui, comme un terme indépassable.

Or, deuxième élément de l’équation, il faut, dans ce délai plus que bref, poser les actes majeurs du retour à l’ordre constitutionnel normal, à savoir l’adoption d’une Constitution nouvelle, l’élection d’un Président de la République et l’élection des députés. La difficulté est cependant que cela doit se faire dans les trois mois restant à courir, ce qui est difficilement concevable en pratique. On sait que le processus constituant peine à avancer, confronté qu’il est aux imperfections mêmes du texte premier – la proposition de Constitution adoptée par le Conseil national de transition (CNT) en février 2015 – ainsi qu’au flou entourant les étapes ultérieures. Il est un fait aussi que l’organisation des élections est loin d’être aboutie, et qu’à deux mois des échéances il reste des difficultés importantes à surmonter, qu’il s’agisse de la sécurité, du recensement, ou encore du financement.

A ces éléments, il faudrait ajouter, sans prétention à l’exhaustivité :

  • les querelles de légitimité tous azimuts opposant les acteurs politiques centrafricains, relativement au pouvoir constituant des institutions de transition en général et du CNT en particulier, aux normes applicables en matière électorale, ou à la compétence de la Cour constitutionnelle de transition pour décider de ce qui concerne les institutions de l’ordre constitutionnel futur ;
  • la formidable cacophonie et les tiraillements des forces étrangères en RCA ;
  • l’incertitude que fait peser sur cet agenda le Forum national de Bangui, où devraient être remises sur la table des questions de gouvernance, et dont certains espèrent voir sortir quelques surprises.

On a alors une image du Centrafrique : celle d’un guêpier, piège potentiellement mortel.

C’est dans ce contexte que s’inscrit la saisine de la Cour constitutionnelle de transition (ci-après, « la Cour ») par le chef du Gouvernement de transition, pour qu’elle se prononce sur la séquence des opérations référendaires et électorales en vertu de la CCT.

En elle-même cette saisine est un indicateur intéressant dans le contexte centrafricain. D’un côté, et cela ne peut manquer d’inquiéter, elle manifeste d’un défaut de consensus politique sur les questions cruciales pour l’avenir de la RCA, fruit de la fragilité des mécanismes, y compris psychologiques, de dialogue politique. Mais d’un autre côté, cette saisine peut aussi s’analyser en une avancée de l’idée de droit dans l’Etat centrafricain, en une percée de l’Etat de droit. C’est une percée timide certes, mais qui ne peut qu’être saluée dans un pays où les titulaires du droit de saisine de la juridiction constitutionnelle se sont toujours gardés d’en user, de crainte de voir leur liberté d’action contrainte.

La réponse apportée à cette question est pour l’essentiel que, organisés nécessairement pendant la période de transition, le référendum constitutionnel doit précéder les élections présidentielles et législatives. Cette réponse est argumentée en droit, articulée sur la CCT, avec un talent certain, mélange de sobre rigueur juridique avec un certain sens de la pondération politique. Ce sont là des qualités dont on peut espérer qu’elles forceront au respect de la décision rendue, apportant le soutien d’une argumentation convaincante à la prescription constitutionnelle selon laquelle « les décisions de la Cour Constitutionnelle s’imposent aux pouvoirs publics, à toute autorité administrative et juridictionnelle et à toute personne physique ou morale » (article 84, paragraphe 1 de la CCT).

Cette décision, ce grand arrêt, a été abondamment commentée mais il n’est pas certain que toutes ses potentialités aient été perçues. C’est que, question posée et réponse apportée dans cette décision ne sont que faussement techniques. En effet, en arrière plan du droit se profilent des enjeux politiques fondamentaux : vider les querelles de légitimité persistantes à propos des institutions de transition, d’une part, et répondre à la question de savoir si la période de transition peut ou non être prorogée à nouveau, d’autre part. Or, sans se prononcer directement sur ces enjeux, la Cour en esquisse une certaine solution. A cet égard, sa décision du 15 avril peut-être lue comme la réaffirmation de la pleine légitimité des institutions de transition pendant la période de transition (I), mais aussi comme fournissant les arguments nécessaires pour une prolongation exceptionnelle de cette période (II). Restera à savoir ce qu’il en sera de ces solutions face à l’inconnue du Forum national de Bangui (III).

 I- L’affirmation de la légitimité des institutions de transition

Le gouvernement de transition, son chef en particulier, a-t-il légitimité pour poser des questions dont l’issue détermine la configuration des pouvoirs dans l’après-transition, et la Cour constitutionnelle de transition a-t-elle compétence pour y répondre ? Cette même Cour a-t-elle légitimité pour intervenir au-delà de la période de transition, en recevant le serment du Président élu ? Enfin, le Conseil national de transition est-il légitime à exercer le pouvoir constituant aux fins d’établir, voire de redéfinir, ce qui sera le fondement de l’Etat ?

Voilà des questions fondamentales dont la portée politique n’échappe à personne. Ce qui est remarquable est que la Cour a décidé d’y répondre en droit, en se fondant exclusivement sur la Charte de transition. Sa tâche s’en est trouvée d’autant facilitée.

A la première question – légitimité de l’Exécutif et de la Cour – il est répondu positivement dès lors que la demande est jugée recevable et, surtout, que la Cour retient sa compétence pour l’examiner au fond. La ressource argumentative de la Haute juridiction est que ladite demande vise à l’interprétation des dispositions de la CCT et que, par application de l’article 76 tiret 8 de cette Charte, ce rôle lui incombe. De fait, aux termes cet article, « il est institué une Cour Constitutionnelle de Transition chargée (…) d’interpréter la Charte Constitutionnelle de Transition ».

A la deuxième question, et dès lors qu’on se place dans le cadre de la CCT, la réponse ne pouvait, de même, qu’être affirmative puisque selon le tiret 6 du même article 76, c’est à la Cour qu’il revient de « recevoir le serment du Chef de l’Etat de transition et celui du Président de la République élu », étant précisé que le président « élu » au sens de cette disposition est bien celle ou celui qui aura vocation à diriger l’Etat lors du retour à la normalité constitutionnelle.

C’est la même logique qui a conduit la Cour à juger, conformément à l’article 44 tiret 5 de la CCT, qu’il revient au gouvernement de transition d’organiser le referendum, ce dont il se déduit logiquement que le pouvoir constituant revient aux institutions de transition, spécialement au CNT, la CCT disposant expressément que « Le Conseil National de Transition est chargé notamment (…) d’élaborer et adopter un projet de Constitution à soumettre au peuple par voie de référendum » (article 55, tiret 3 de la CCT).

Si cette affirmation de la pleine légitimité des organes de transition peut soulever difficulté, et elle en soulève quelques unes comme il sera vu plus loin, ce n’est pas en raison de la décision de la Cour. En effet, pour peu qu’on en accepte la principale prémisse qui consiste à fonder les réponses aux questions posées sur la CCT – et on voit mal un juriste discuter pareille prémisse – cette décision est d’une logique juridique imparable. Même le fait d’habiliter les institutions pour des actes qui seraient posés en dehors de la période de transition (le serment présidentiel par exemple) peut trouver explication logique. C’est que, si on la rapporte rigoureusement à la CCT, la période de transition est celle qui s’écoule entre l’entrée en vigueur de cette Charte constitutionnelle (article 102 de la CCT) et l’entrée en fonction effective des nouvelles autorités élues de l’Etat.

Si donc le vice, car vice il y a bien, ne réside pas dans la décision du 15 avril, il est bien logé quelque part. Et ce quelque part est la Charte constitutionnelle de transition elle-même. C’est par elle qu’on a erré en confiant le pouvoir constituant à des autorités qui n’ont en principe pas de titre pour l’exercer. Comme cela arrive souvent en Centrafrique, les concepteurs de cet acte ont cru pouvoir donner pleins pouvoirs aux autorités de transition. Ils l’ont fait, d’abord, on l’oublie souvent, en donnant à celles-ci le pouvoir d’abroger purement et simplement la Constitution de 2004 (voir l’article 107, paragraphe 1 de la CCT), puis en les habilitant à agir dans la plénitude des fonctions de l’Etat pendant la période de transition et, enfin, en leur confiant le pouvoir de donner à l’Etat rétabli après cette période ses règles fondamentales, via une Constitution à établir (article 55, tiret 3 de la CCT).

Et c’est là sans doute que le bât blesse. En effet de telles dispositions ne sont guère concevables du point de vue de la logique constitutionnelle, entendue non seulement comme logique juridique, mais aussi et surtout comme logique démocratique. D’un point de vue strictement juridique, la CCT telle qu’elle se présente s’inscrit en contradiction flagrante avec le principe général du droit public qu’est le parallélisme des compétences. Selon ce principe, c’est à l’autorité compétente pour adopter un acte juridique qu’il revient de le rapporter ou, a fortiori, de le modifier. Certes ce principe est, en matière administrative, pondéré par un autre, le principe hiérarchique, dont il résulte que le supérieur hiérarchique a pouvoir d’annulation sur les actes des agents qui lui sont subordonnés. Mais précisément on n’est pas ici en matière administrative, mais plutôt en matière constitutionnelle. Or c’est une conception cardinale du droit constitutionnel qu’au dessus du pouvoir constituant il ne saurait y avoir d’autre autorité. Il suit de là que le principe du parallélisme des compétences s’exprime nécessairement ici dans toute sa rigueur. Il impose dès lors, sans tempérament possible, que l’abrogation d’une Loi fondamentale soit faite dans les mêmes formes que son adoption ; que lorsque c’est le peuple qui est réputé avoir arrêté ce texte, il lui revienne de le faire disparaître de l’ordre juridique en l’abrogeant.

Avec cette dernière référence – au peuple – on prend conscience de ce que sur ce versant constitutionnel, ce qu’exprime le principe général du parallélisme des compétences est une exigence démocratique fondamentale : que les actes du souverain démocratique – le peuple – ne puissent souffrir d’être à la merci d’autorités qui non seulement ne sont pas ce souverain lui-même, mais encore n’en sont pas une émanation voulue par lui.

Si on admet cela, le pouvoir d’abrogation prévu par l’article 107, paragraphe 1 de la CCT pose évidemment problème, mais pas seulement lui. C’est tout l’édifice constitutionnel de la transition qui est en cause. D’abord le fait qu’on ait cru pouvoir asseoir la transition sur une Constitution propre. Une telle décision est lourde de signification, la principale étant que les autorités de transition se voient habilitées, non seulement à poser les règles du fonctionnement de l’Etat, mais aussi à poser les fondements de celui-ci. C’est d’ailleurs ce qui a été fait avec la CCT : celle-ci s’ouvre par un titre sur « les bases fondamentales de la société », et se poursuit avec un titre intitulé « De l’Etat et de la souveraineté ». Que ces titres se présentent pour l’essentiel comme une fidèle transposition des titres correspondants de la Constitution de 2004 ne retire rien à ce qui vient d’être constaté. Le fait reste que cette transposition est un choix, que les auteurs de ce texte auraient pu faire un choix autre, et que, en tout état de cause et en droit, les principes en question ne s’imposent dans la RCA d’aujourd’hui qu’en vertu de la Charte constitutionnelle de transition et de nul autre texte.

C’est cette logique qui est poursuivie par les dispositions de la CCT qui habilitent le CNT à établir la future Constitution (art. 55, tiret 3 de la CCT). Certes, le pouvoir ultime d’adopter cette Constitution revient en définitive au peuple puisque le référendum est un requis des dispositions constitutionnelles pertinentes. Mais on ne peut s’empêcher, en replaçant le pouvoir d’élaboration confié au CNT dans la perspective du pouvoir d’abrogation dont il a été question plus haut, de le considérer comme exorbitant.

Dans ce contexte, la question de la marche qu’il aurait fallu suivre s’impose d’elle-même. Mais en se la posant, il faut par ailleurs prendre acte de ce que l’expérience que connaît la RCA est en passe de devenir une norme à l’échelle continentale, prendre conscience de ce que les errements sont donc à l’échelle de l’Afrique toute entière et qu’ils sont encouragés par la Communauté internationale. Il y aurait avantage à quitter ces conceptions au profit du simple bon sens juridique. Plus précisément, il importerait de considérer qu’une transition n’est qu’une … transition et doit être traitée comme telle ; que l’avènement d’une telle période peut à la rigueur entrainer la suspension de la Constitution le temps nécessaire pour recréer les conditions propres à une application normale de la Loi fondamentale ; qu’il y aurait lieu même, en procédant à cette suspension, de veiller à maintenir en vigueur ce qui est à l’essence et au principe de l’Etat et qui doit perdurer pour marquer la permanence de ce dernier. Ce ne sont là que quelques éléments d’un droit constitutionnel de la transition qu’il paraît urgent de penser. Il n’y a évidemment pas place ici pour les développer.

En revenant au raisonnement initial, il suffira de souligner que l’aberration que représente le pouvoir constituant des institutions de transition ne procède pas tant de la décision de la Cour constitutionnelle que de la CCT elle même. Il faut prendre acte de ce caractère aberrant pour l’avenir.

II- La prolongation exceptionnelle de la transition en perspective

Le deuxième enseignement de la décision du 15 avril porte sur la fin envisageable de la transition.

L’affirmation est suffisamment saugrenue pour qu’on s’en explique avant toute chose. Il faut alors faire retour à la question posée à la Cour, telle qu’elle a été libellée par le Premier ministre. Ce faisant, on constate que l’hypothèse formulée par ce dernier est que les élections – présidentielles et législatives – soient organisées dans un premier temps, le référendum constitutionnel ne venant que dans un deuxième temps. Et le Premier ministre de demander, en outre, si une telle éventualité serait compatible avec la durée de transition. On peut, sans grand risque de se tromper, en déduire qu’aux yeux du chef du gouvernement de transition, tenir le délai impératif de fin de la transition fixée notamment par les partenaires extérieurs imposerait de limiter la tâche des institutions de ladite transition à la seule organisation des élections. Le processus constituant serait dès lors renvoyé à la responsabilité des futures autorités élues, et il serait engagé, en tout état de cause, hors transition. Ainsi, l’idée implicite que contient la question du Premier ministre était bien qu’il serait impossible de respecter le délai imparti, à savoir août 2015, si d’aventure on imposait l’achèvement de la procédure constituante en plus de l’organisation des élections.

Partant de là, on ne peut que convenir qu’en décidant comme elle l’a fait, c’est-à-dire en faisant relever de la responsabilité des organes de transition toutes ces opérations, la Cour avalise, implicitement mais nécessairement, la thèse de l’impossibilité de tenir le délai d’août 2015.

Une telle conclusion s’impose avec plus de force encore si on se reporte non seulement au séquencement précis de ces opérations, mais aussi à la conception qui la sous-tend. Cette conception, des plus intéressantes d’ailleurs, est que le calendrier, le chronogramme comme on aime à le dire en RCA, est dicté par des considérations d’ordre démocratique. Les élections, indique la Cour, « doivent être libres, démocratiques, transparentes et régulières » ; avant d’ajouter que c’est « pour satisfaire à ces standards démocratiques » qu’il lui faut arrêter le dispositif qu’énonce sa décision, un dispositif qui permette « aux candidats aux élections présidentielle et législatives de connaître le régime politique fixé par la Constitution et ses caractéristiques, la durée des mandats pour lesquels ils postulent et l’étendue des pouvoirs et des responsabilités liés à la fonction qu’ils souhaitent exerce ». Autrement dit, la CCT impose plus qu’une antériorité du référendum constitutionnel par rapport aux élections. Elle impose que le résultat de ce référendum soit connu avant le dépôt officiel des candidatures pour la Présidence de la République.

Fort de ces précisions, on peut revenir au code électoral (ci-après CE) pour savoir ce qu’elles impliquent concrètement quant à la succession dans le temps de ces processus.

S’agissant du référendum, ledit code, en son article 210, requiert a minima 16 jours entre l’ouverture de la campagne et la clôture des votes (14 jours de campagne, 1 jour sans campagne avant le vote, 1 jour de vote).

En ce qui concerne l’élection présidentielle, la durée totale minimale des opérations s’établit, par combinaison des articles 53, 60 et 120 du même code à 53 jours (30 jours séparant l’arrêt des candidatures de l’ouverture de la campagne, 16 jours de la campagne à la clôture du vote du premier tour, 7 jours de la campagne au scrutin du 2e tour). Si on y ajoute que le scrutin pour l’élection du Président de la République doit avoir lieu 45 jours au moins avant le terme du mandat du Président en exercice (article 119, paragraphe 1 du CE), la période couverte passe à 98 jours, soit 3 mois et quelques jours. Ce chiffre ajouté à celui du référendum amène à 114 jours, soit 3 mois et 3 semaines.

Et encore ces calculs minimalistes ne prennent-ils pas en compte le temps de l’enregistrement des candidatures, le délai pour la proclamation des résultats, les possibles contestations et recours et, dans ce dernier cas, le temps pour la Cour constitutionnelle de statuer. Il ne tient pas davantage compte de l’obligation de convoquer les électeurs par décret au moins 60 jours avant la date du scrutin référendaire et le même nombre de jours au minimum avant le scrutin présidentiel (articles 118 et 210 du CE).

Ainsi en pratique il faudrait compter devant soi, à partir de l’adoption définitive du texte constitutionnel, 4 mois au moins, ce qui est de fait absolument incompatible avec l’hypothèse d’une transition s’achevant en août 2015.

Surgit alors la question : comment faire ? Comment concilier deux éléments aussi apparemment inconciliables ?

C’est ici que l’on retrouve l’article 102, paragraphe 2 de la CCT, dont il faut rappeler qu’il prévoit que « en cas de nécessité, la durée de la transition peut être examinée par la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de la CEEAC sur proposition conjointe et motivée du Chef de l’Etat de la Transition, du Premier Ministre et du Président du Conseil National de Transition ». Cette disposition prévoit bien la possibilité d’une prorogation exceptionnelle de la transition, mais la subordonne à la réalisation d’une condition qu’exprime le membre de phrase « en cas de nécessité ». Nombreux sont ceux, notamment dans le milieu politique, qui se sont interrogés sur ce que pouvait recouvrir cette condition de « nécessité ». Il est possible de considérer celle-ci comme étant avérée dorénavant. Pour le dire plus clairement, ladite « nécessité » ressort clairement de la décision du 15 avril car, comment soutenir que l’impossibilité pratique qui vient d’être démontrée n’en constitue pas une. Que l’on s’entende cependant bien. Il ne s’agit pas de prétendre que la Cour aurait délibérément choisi de créer les conditions de l’application de l’article 102, paragraphe 2 de la CCT, mais plutôt de constater que sa décision conduit nécessairement, et donc objectivement, à ce résultat.

Il ne faudrait cependant pas en conclure que la prorogation est acquise. Il faut encore, pour en arriver là, une appréciation de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEEAC à l’issue forcément incertaine. Mais surtout, la question reste posée de savoir ce qu’il adviendra de la construction qui découle de la décision de la Cour à l’issue du Forum national de Bangui. C’est là une inconnue de taille.

III- L’inconnue du Forum de Bangui ou le destin incertain des solutions issues de la décision du 15 avril.

Le forum de Bangui n’a pas nécessairement vocation à venir perturber le dispositif qui a été décrit et qui forme la substance de la décision du 15 avril. Tout dépend de la conception que l’on en a.

Une première manière de concevoir le Forum serait de voir en lui un sous-produit de la transition. Il n’y aurait pas difficulté à accréditer une telle représentation d’un point de vue juridique. La Commission préparatoire du Forum n’a-t-elle pas été instituée par décret, de même que l’instance qui lui a succédé, à savoir le Comité technique préparatoire ? Son organisation n’est-elle pas déterminée par décret et par arrêté, qu’il s’agisse de sa gouvernance (le Praesidium et ses membres), de sa composition, de son règlement intérieur, etc. ? Son agenda lui même, y compris l’agenda thématique n’est-il pas prédéterminé de la même manière ? Bref, il est aisé de constater que le Forum en tant qu’instance est issu de la volonté de l’Exécutif de transition ; et il serait assez logique d’en déduire que ledit Forum, comme tout organe institué, a l’obligation d’agir dans le strict cadre du mandat qui lui a été donné par son pouvoir créateur, et que sa volonté doit être tenue pour subordonnée à celle du pouvoir qui l’institue. Un tel raisonnement n’est pas de nature à choquer. En effet, de la même manière que dans la nature la créature se trouve placée par son statut de créé dans une relation de dépendance vis-à-vis de son créateur, en droit le pouvoir institué est réputé être à l’égard de la volonté qui l’institue dans un rapport de dépendance et de subordination juridique. Dans une telle perspective le Forum de Bangui serait à regarder comme une institution de la Transition, soumise à la Constitution de celle-ci et, par conséquent, ne pouvant agir, conformément à l’article 84 paragraphe 1 de la CCT, que dans le respect de la décision du 15 avril et dans les limites fixées par elle.

Cette manière de voir n’est néanmoins pas la seule. On peut aussi considérer que le Forum de Bangui doit être défini, non pas par rapport à son origine, mais plutôt par rapport à sa nature et à sa fonction socio-politique. Autrement dit, ce qu’il conviendrait de prendre en compte d’abord, c’est le fait qu’il ait été voulu comme une représentation des forces vives centrafricaines, comme une figure vivante de la RCA reflétant sa diversité territoriale, sociale, politique, religieuse, une figure dont il est admis d’ailleurs qu’elle est inédite en termes de représentativité depuis les indépendances, ce qui est une manière de reconnaître que le Forum serait d’une légitimité plus grande que ses créateurs. L’autre élément à prendre en compte serait le fait que le Forum est chargé de rien de moins que de refonder l’Etat, un Etat dont tous admettent qu’il est inexistant, ou à tout le moins déliquescent.

Comment concevoir qu’un tel organe puisse être autrement que souverain ?

D’aucuns ne manqueront pas de relever ce qui leur apparaîtra comme une contradiction, entre un tel statut de souveraineté et le fait pour le Forum de devoir son existence à un ou plusieurs autres organes. Mais cette contradiction n’est à vrai dire qu’apparente. L’histoire constitutionnelle ne manque en effet pas d’exemple où une instance mise en place par des pouvoirs existants en vient à exercer un pouvoir qui dépasse ces derniers. Que l’on songe par exemple à la France que l’on prend par habitude pour modèle en RCA : sa première Constitution moderne, la révolutionnaire, est le fruit des travaux d’une Assemblée constituante qui n’était autre initialement que les Etats généraux convoqués par le Roi. Que l’on songe aussi plus près de la RCA, et même en RCA, aux Conférences nationales souveraines africaines qui ont été dans tous les cas instituées par acte des autorités constitutionnelles du moment. Il est un dernier élément de l’histoire de la République centrafricaine qui militerait aussi plutôt en faveur de pareille transmutation : il serait à tout le moins curieux que, dans ce pays où il a été admis à maintes reprises que puisse agir en constituant des autorités ayant accédé au pouvoir par la force et se définissant comme pouvoirs transitoires, soit refusé à l’instance représentative et (re)fondatrice qu’est le Forum la capacité de dépasser le cadre constitutionnel actuel.

Cela implique-t-il d’aller jusqu’à considérer qu’il lui appartiendrait d’exercer le pouvoir constituant ? On ne sait. En tout cas, le propos du présent texte n’est pas de répondre à cette question. Il est seulement, en s’essayant à évaluer le devenir de la décision du 15 avril, de souligner que dans le contexte où il est amené à être appliqué, il se pourrait bien que cette décision ait à composer avec le Forum de Bangui, pour peu que celui-ci serait regardé, ou se considèrerait lui-même, comme ayant vocation à poser de nouveaux fondements du lien social et politique, du « vivre ensemble », bref à refonder l’Etat.

A supposer que tel soit le cas, il n’y aurait nul désaveu. La Cour constitutionnelle de transition aura, en rendant la décision commentée, rempli scrupuleusement son rôle en vertu de la Constitution, quand le Forum remplirait le sien propre qui est de regarder et de proposer au peuple centrafricain un horizon commun par delà la limite de la Charte constitutionnelle de transition.

Fait à Paris le 26 avril 2015

Jean-François AKANDJI-KOMBÉ

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