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[biblio.jfak] Retour sur … le colloque de Copenhague : obligations positives et droits sociaux [Fr/En]

L'ESSENTIEL : "Les obligations positives constituent un fer de lance essentiel pour la réalisation de l’effectivité des droits économiques et sociaux en Europe. En cela, la méthode qui se réfère à elle figure au premier rang des moyens les plus sûr d’assurer sur le continent l’indivisibilité des droits de l’homme" – Comparative Regional Human Rights Systems: Courts and Adjudication, Workshop, Copenhagen, June 27–28 2013. Organised by the Centre of Excellence for International Courts (iCourts) of the Danish National Research Foundation

Références

Jean-François AKANDJI-KOMBÉ : Les obligations positives et la protection des droits sociaux dans le système européen des droits de l’homme”, contribution au colloque de Copenhague, juin 2013, Comparative Regional Human Rights Systems: Courts and Adjudication, Centre of Excellence for International Courts (iCourts) of the Danish National Research Foundation.

Extraits... Sur le rapport des obligations positives aux droits sociaux

La méthode, ce sont les « obligations positives »[1] ou plus exactement la dynamique jurisprudentielle des obligations positives. Elle consiste, pour le juge européen des droits de l’homme, au nom de l’effectivité des droits garantis, à doter ceux-ci d’exigences non prévues par les textes, et imposant aux Etats une intervention positive, autrement dit l’adoption des mesures nécessaires à la pleine jouissance et à la pleine sauvegarde des droits. Pour reprendre la propre formule de la Cour européenne des droits de l’homme, « l’exécution d’un engagement assumé en vertu de la Convention appelle parfois des mesures positives de l’État ; en pareil cas, celui-ci ne saurait se borner à demeurer passif et il n’y a pas lieu de distinguer entre actes et omissions »[2]. L’activisme ainsi requis de l’Etat peut prendre différentes formes : édiction de normes substantielles et/ou de règles procédurales, adoption de mesures pratiques. On remarquera aussi et surtout que le champ matériel de cette intervention n’est pas limité. Les mesures attendues de l’Etat peuvent donc être de nature socio-économique et toucher aux droits qui, en vertu des textes internationaux, présentent ce caractère.

Ainsi définie, la « méthode des obligations positives » soulève inévitablement la question de savoir si elle constitue une méthode d’interprétation à proprement parler, aux côtés de celles qui sont considérées habituellement comme telles : méthodes littérale, historique, systématique, téléologique, consensuelle, etc. A notre avis, la réponse à cette question ne peut être que négative. Il paraît en effet plus juste de considérer que les obligations positives participent de l’élucidation, voire de la description, du contenu des engagements des Etats et donc du contenu de la norme ; qu’elles sont, dès lors, à considérer comme le résultat donné d’un processus d’interprétation conduit sur la base de principes – tel par exemple le principe d’effectivité – ainsi qu’au moyen de méthodes et techniques à l’univers desquels elles sont étrangères. Si, pour répondre à l’invitation des organisateurs de la présente rencontre, on a pris le parti de les rapprocher de ces principes, méthodes et techniques, c’est exclusivement en tant qu’instruments de développement des droits de l’homme.

Dans le système européen des droits de l’homme, la méthode de développement des droits fondée sur les obligations positives est mise en œuvre avant tout par la Cour européenne des droits de l’homme[3], et ce dans une double perspective. La première consiste à enrichir la substance des droits prévus par la Convention européenne des droits de l’homme, et la seconde tend, via l’affirmation à la charge de l’Etat d’une obligation exigeante de protection dans les relations interpersonnelles, à obtenir le plein respect des droits conventionnels dans les rapports entre personnes privées. Cette méthode n’est cependant pas cantonnée à la Convention européenne des droits de l’homme. Le Comité européen des droits sociaux, agissant dans le cadre de la procédure de réclamations collectives[4], l’a faite aussi sienne. Il en résulte que les obligations positives ne constituent pas seulement un instrument de « socialisation » de droits civils et politiques ; elles se présentent aussi comme outil de développement de droits consacrés en tant que droits sociaux et économiques.

Il n’est, finalement, qu’un pan du système européen des droits de l’homme où la technique des obligations positives ne paraît pas avoir percé : c’est dans le droit de l’Union européenne. Il y a à cela deux raisons principales à notre avis. La première tient sans doute à la grande réserve qui y prévaut à l’égard des droits sociaux. Cette réserve est celle du juge d’abord. En témoigne le fait que ces droits n’ont jamais été admis dans la catégorie des principes généraux du droit de l’Union européenne qui est, comme on sait, de construction prétorienne. En témoigne aussi une certaine jurisprudence qui fait primer les libertés économiques (du marché intérieur) sur les droits sociaux[5]. Mais la réserve à l’égard de ces droits provient aussi, comme on sait, des Etats, lesquels se sont toujours montrés réticents à l’égard d’un élargissement de la compétence communautaire en matière sociale. Tant et si bien que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, tout en consacrant pour la première fois des droits sociaux comme partie intégrante du catalogue européen des droits fondamentaux, interdit que leur protection entraîne un élargissement de la compétence de l’Union dans les matières considérées[6]. La seconde raison de l’indifférence en droit de l’Union à l’égard de la méthode des obligations positives nous paraît être d’ordre structurel. Dès lors que les éléments de ce droit ont vocation à produire par eux-mêmes des effets dans les ordres juridiques des Etats membres, et que la plupart des dispositions qui en relèvent, spécialement celles relatives aux droits fondamentaux, sont dotées d’un effet direct propre à imposer aux particuliers de les respecter, il n’est guère besoin d’en passer par la théorie des obligations positives pour parvenir à leur application horizontale, dans les relations privées.

C’est au bénéfice de ces observations qu’il convient maintenant de rendre compte de la manière dont la méthode des obligations positives participe de l’affirmation des droits économiques et sociaux, d’une part, et de la manière dont elle concourt à une meilleure garantie de ces derniers, d’autre part.

[1] D’une manière générale, v. J.-F. Akandji-Kombé, Les obligations positives en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme, Précis des droits de l’homme, Editions du Conseil de l’Europe, 2006 ; A. R. Mowbray, The development of positive obligations under the European Convention of Human Rights by the European Court of Human Rights, Hart Pubishing, Oxford, 2004 ; F. Sudre : « Les obligations positives dans la jurisprudence européenne des droits de l’homme », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 1995.363 ; Klatt : « Positive obligations under the European Convention on Human Rights », in Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht und Völkerrecht (ZaöRV) / Kaiser Wilhelm-Institut für Ausländisches Öffentliches Recht und Völkerrecht ; S. Pavageau : « Les obligations positives dans les jurisprudences des Cours européenne et interaméricaine des droits de l’homme », Int. Law: Rev. Colomb. Derecho Int. Bogotá (Colombia) N° 6: 201-246, julio-diciembre de 2005.

[2] Arrêt Airey c. Irlande, 9 oct. 1979, req. n° 6289/73, § 25.

[3] Voir F. Sudre, La « perméabilité de la Convention européenne des droits de l’homme aux droits sociaux », Mélanges J. Mourgeon, Bruylant, 1998, p. 467. V. aussi, du même auteur : « La protection des droits sociaux par la Cour européenne des droits de l’homme : un exercice de « jurisprudence-fiction » », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2003.755.

[4] Cette procédure a été mise en place par un protocole à la Charte sociale européenne, adoptée en 1995 et entré en vigueur en 1998. Sur cette procédure v. F. Sudre : « Le protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives », R.G.D.I.P., 1996-3, pp. 715 et s.; J.-F. Akandji-Kombé : « L’application de la Charte sociale européenne, la mise en œuvre de la procédure de réclamations collectives », Droit social, n° 9/10, sept.-oct. 2000, p. 888 et s. ; R. Brillat : « A new protocol to the European social charter providing for collective complaint », European Human Rights Review, 1996-1, p. 52 ; et R. Birk : « The collective complaint : a new procedure in the European social Charter », in Labour law in industrial relations at the turn of the century, Liber amico- rum in honour of Prof. Roger Blanpain, Kluwer 1998, p. 261. Pour les développements ultérieurs de la procédure, voir nos chroniques régulières dans la Revue trimestrielle des droits de l’homme, dans le Journal de Droit européen (Chroniques de la procédure de réclamations collectives) et, depuis cette année, dans le Journal européen des Droits de l’homme (Chronique européenne et internationale « Travail et protection sociale »).

[5] En ce sens, v. par exemple C.J., 11 décembre 2007, Viking, aff. 438/05 ; et 18 décembre 2007, Laval, aff. 341/05, comment. P. Rodière, « Les arrêts Viking et Laval, le droit de grève et le droit de négociation collective », RTD eur., 2008/47 ; C.J., Commission c. Allemagne, 15 juillet 2010, aff. C-271/08, comment. J.-F. Akandji-Kombé : « Négociation collective et droits fondamentaux : la Cour de justice franchit-elle un cap ? », La Semaine Sociale Lamy, n° 1463, 2010, p. 5 ; ou plus récemment à propos du droit de grève : C.J., 4 oct. 2012, Finnair Oyj, aff. C-22/11, comment. J.-F. Akandji-Kombé, Chronique précitée, Journal européen des Droits de l’homme, 2013/3, p. 518 et s.

[6] Article 52, paragraphe 2 de la Charte : « La présente Charte n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités ».

Abstract... On the relation of positive obligations to social rights

The method is the so called « positive obligations » [1], or more precisely, the jurisprudential dynamic of positive obligations. It includes, for the European Human Rights’ judge, in the name of the effectiveness of the guaranteed rights, to endow these with requirements not covered by the texts, and imposing on States a positive intervention, or in other words, the adoption of measures necessary for the full enjoyment and full protection of rights. To use the actual formula of the European Court of Human Rights, « fulfilment of a duty under the Convention on occasion necessitates some positive action on the part of the State; in such circumstances, the State cannot simply remain passive and there is no room to distinguish between acts and omissions » [2]. The activism thus required of the State can take different forms: enactment of substantial standards and/or procedural rules, adoption of practical measures. It is also, and above all, noted that the material scope of this intervention is not limited. Measures expected of the State may be socio-economic in nature and affect the rights which, by virtue of international texts, present this character.

Thus defined, the « method of positive obligations » inevitably raises the question of whether it constitutes a method of interpretation properly speaking, alongside those which are usually considered as such: literal interpreting methods ; historical, systematic, teleological, consensualistic methods, etc.. In our opinion, the answer to this question can only be negative. It seems more fair to consider that positive obligations are involved in the elucidation, or even the description, of the content of the commitments of States and therefore the content of the standard; they are therefore to be regarded as the given result of an interpretation process conducted on the basis of principles – such as the principle of effectiveness – as well as through methods and techniques to the world to which they are foreign. If, to reply to the invitation of the organizers of the present meeting, we took the stand of getting them close to these principles, methods and techniques, it is only as instruments for the development of Human Rights.

In the European system of human rights, the human development methodology based on positive obligations is implemented primarily by the European Court of Human Rights[3], and from a twofold perspective. The first is to enrich the substance of rights provided under the European Convention on Human Rights, and the second is, through the affirmation at the expense of the State of an obligation demanding the protection of interpersonal relationships, to achieve full respect of conventional rights in relations between private individuals. This method however is not confined to the European Convention on Human Rights. The European Committee of Social Rights, working within the frame of the collective somplaints’ procedure[4], has likewise made it its own. It follows that  positive obligations do not merely make up an instrument of the socio-economic rights.

It is, finally, but a breakdown of the European system of human rights where the technique of positive obligations does not seem to have penetrated: it is in the law of the European Union.  In our opinion that is for two cardinal reasons. The first is without doubt due to the great caution that prevails with regard to social rights. This caution is that of the judge first of all. This is evidenced by the fact that these rights have never been admitted into the category of general principles of law of the European Union which is, as we know, a praetorian construction. We witness also a certain jurisprudence that gives precedence to economic freedoms (of the internal market) over social rights[5]. But the reservation regarding these rights also comes, as we know, from the States, which have always shown themselves reluctant in regard to an enlargement of European Union competence in social matters. So much so that the Charter of Fundamental Rights of the European Union, even while consecrating social rights for the first time as an integral part of the European catalogue of fundamental rights, forbids that their protection entrains an enlargement of the powers of the Union in the considered fields[6]. The second reason for the indifference in E.U. law with regard to the method of positive obligations appears to us to be of a structural order. Since the elements of the law are intended to produce by themselves effects in the legal orders of the Member States, and that most of the provisions contained in it, especially those relating to fundamental rights, have a direct effect suitable to impose on individuals to respect it, it is hardly necessary to go through the theory of positive obligations to achieve their horizontal application in private relationships.

It is in light of these observations that it is now appropriate to account for how the method of positive obligations involve the assertion of economic and social rights, on the one hand, and how it contributes to a better guarantee of the latter, on the other hand.

[1] See J.-F. Akandji-Kombé, Positive obligations under the European Convention on Human Rights, a guide to the implementation of ECHR, Human Rights Handbook n° 7, Council of Europe, 2006 ; A. R. Mowbray, The development of positive obligations under the European Convention of Human Rights by the European Court of Human Rights, Hart Pubishing, Oxford, 2004 ; F. Sudre : « Les obligations positives dans la jurisprudence européenne des droits de l’homme », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 1995.363 ; Klatt : « Positive obligations under the European Convention on Human Rights », in Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht und Völkerrecht (ZaöRV) / Kaiser Wilhelm-Institut für Ausländisches Öffentliches Recht und Völkerrecht ; S. Pavageau : « Les obligations positives dans les jurisprudences des Cours européenne et interaméricaine des droits de l’homme », Int. Law: Rev. Colomb. Derecho Int. Bogotá (Colombia) N° 6: 201-246, julio-diciembre de 2005.

[2] Airey vs Ireland, 9 oct. 1979, n° 6289/73, § 25.

[3] See F. Sudre : « La perméabilité de la Convention européenne des droits de l’homme aux droits sociaux », in Mélanges J. Mourgeon, Bruylant, 1998, p. 467. Also, from the same author: « La protection des droits sociaux par la Cour européenne des droits de l’homme : un exercice de « jurisprudence-fiction » », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2003.755.

[4] This procedure has been established by a special protocol to the Europesn Social Charter, adopted in 1995 entered in force in 1998. About this procedure, see F. Sudre : « Le protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives », R.G.D.I.P., 1996-3, p. 715 ; J.-F. Akandji-Kombé : « L’application de la Charte sociale européenne, la mise en œuvre de la procédure de réclamations collectives », Droit social, n° 9/10, sept.-oct. 2000, p. 888 ; R. Brillat : « A new protocol to the European social charter providing for collective complaint », European Human Rights Review, 1996-1, p. 52 ; et R. Birk : « The collective complaint : a new procedure in the European social Charter », in Labour law in industrial relations at the turn of the century, Liber amico- rum in honour of Prof. Roger Blanpain, Kluwer 1998, p. 261. For later developments of this procedure, see our regular columns in the Revue trimestrielle des droits de l’homme, the Journal de Droit européen (columns on the procedure of collective complaint) and, since 2013, in the European Journal of Human Rights (international and européen columns « Labour and Social Security »).

[5] In this sense, see for exemple C.J., 11 dec. 2007, Viking, C-438/05 ; and 18 dec. 2007, Laval, C-341/05, commented by P. Rodière, « Les arrêts Viking et Laval, le droit de grève et le droit de négociation collective », RTD eur., 2008/47 ; C.J., Commission vs Germany, 15 jul. 2010, C-271/08, commented by J.-F. Akandji-Kombé : « Négociation collective et droits fondamentaux : la Cour de justice franchit-elle un cap ? », La Semaine Sociale Lamy, n° 1463, 2010, p. 5 ; or, more recently, concerning right to strike : C.J., 4 oct. 2012, Finnair Oyj, C-22/11, commented by J.-F. Akandji-Kombé, Columns in European Journal of Human Rights, 2013/3, p. 518.

[6] Article 51, § 2 of the Charter : « The Charter does not extend the field of application of Union law beyond the powers of the Union or establish any new power or task for the Union, or modify powers and tasks as defined in the Treaties ».

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