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Centrafrique. Chantier constitutionnel annoncé : soyons sérieux !

cnt_centrafrique_0LE PROJET

Le Président du Conseil national de transition centrafricain (CNT), ce Parlement de période de crise, M. Alexandre Ferdinand Ngendé, a annoncé ce 18 mars, sur les ondes de RFI, qu’une opération de révision de la Constitution était engagée par l’institution qu’il préside. Le délai fixé pour aboutir est de trois mois. Le projet serait ensuite soumis à référendum.

Si on comprend l’intervention du Président du CNT, qui était plutôt confuse, la révision, dont l’enjeu serait l’instauration d’une “vraie” séparation des pouvoirs, porterait sur les points suivants :

  • Les prérogatives du Président de la République : articles 22, 27, 58, 60 et 74. Le projet est de les réduire. Semblent être visés, à titre principal et pêle-mêle, le pouvoir de nomination et de révocation du Premier ministre, le pouvoir d’initiative des lois, la dévolution de la présidence du Conseil supérieur de la Magistrature, la qualité de chef des armées, le pouvoir de nomination aux emplois civils et militaires.
  • Les modalités de désignation des membres de la Cour constitutionnelle : article 74. Là encore ce qui est envisagé est de limiter l’emprise du Président de la République qui, de fait, nommerait 4 des 9 membres de cette institution (selon la lettre de la Constitution “actuelle” il n’en nomme que deux, mais il est tenu compte de ce que le Président de l’Assemblée qui est de la même majorité politique en nomme aussi deux autres)
  • Les garanties d’indépendance du pouvoir judiciaire : titre VII. En ligne de mire, à nouveau, le pouvoir présidentiel de nomination des magistrats.
  • Le financement des partis politiques : article 20 et 61. Il semble que la raison de l’inscription de ces dispositions dans le chantier en cours soit que la Constitution renvoie à la loi pour fixer le régime des partis politiques et des associations et que le législateur n’a jamais disposé en ce qui concerne le financement des partis politiques !
  • L’organisation de la défense de la patrie par les citoyens : article 16. C’est la même raison qui, selon le Président du CNT, expliquerait la présence de cet article dans le pot de révision : la Constitution a renvoyé à la loi pour l’organisation des modalités de participation des citoyens à la défense nationale, en clair les conditions du service militaire, et aucune loi n’est jamais intervenue en la matière !!

QUESTION DE NÉCESSITÉ : TEMPS ET ORGANE DE RÉVISION

Dans le contexte actuel d’une Centrafrique livrée au chaos, on ne peut s’empêcher de juger cette initiative politique à l’aune du principe de nécessité.

A la question “est-il utile de retoucher la Loi fondamentale ?”, la réponse ne peut être que positive tant le texte actuel est approximatif et incohérent, mêlant de laborieuses copies de ce qui pouvait convenir dans la Constitution française de 1958 aux lubies du chef d’État du moment, sans souci de vraisemblance logique. Le costume ainsi taillé, qu’il allât comme une seconde peau au despote du moment, n’en reste pas moins de facture désastreuse. Et quant on pense qu’il s’est trouvé d’éminents pontifes français du droit constitutionnel pour accoucher de cela, on est plus atterré encore ! Passons…

Mais, que la Constitution ait besoin d’être remise sur le métier ne veut pas dire qu’il y avait nécessité à conduire l’entreprise dans les conditions décrites plus haut. Laissons de côté pour l’instant la question de l’adéquation aux besoins du pays du choix des dispositions à réviser et du sens annoncé de cette révision (on y reviendra), et intéressons-nous plutôt à deux autres questions qu’on a la faiblesse de penser aussi essentielles.

La question du temps d’abord, qui se dédouble.

D’abord était-ce le moment de s’adonner à cette tâche ? N’y a-t-il pas plus urgent, plus vitalement urgent ? Ces questions portent en elles-mêmes leurs réponses : négative pour la première, affirmative pour la seconde. Mais surtout, pour une entreprise qui devrait être de refondation de la Constitution, ce dont on n’a pas pris le chemin (voir ci-dessous), la stabilisation de la situation sécuritaire et sociale nous paraît être un préalable nécessaire. Pourquoi ? Parce que, à supposer que l’on se place dans la perspective de la refondation, il importerait de consulter largement sur les principes mêmes de la révision, sur l’idée de l’Etat et du gouvernement que l’on veut. Cela passe nécessairement par une réunion de personnalités représentatives de la société centrafricaine et de compétences capables d’aider à la formulation juridique de leur volonté. Or, dans l’état de trouble extrême et d’insécurité chronique dans lequel se trouve le pays, comment et sur la base de quoi peut-on identifier ces représentants ? Et d’ailleurs ils seraient représentatifs de quelles populations dans ce pays de déplacés ? Et comment les acheminer jusqu’à Bangui ? Comment garantir la sécurité de leurs travaux ? Mais, bien sûr, cette réponse là à la question de savoir si le moment est adapté n’a de poids que si on change la perspective de la révision, ce qui me paraît, on l’aura compris, indispenséable.

Reste tout de même l’autre question du temps, celle qui se rapporte au délai imparti pour achever la rédaction de la nouvelle Constitution. Trois mois, est-ce bien raisonnable ? Évidemment non ! Et si l’ambition est, comme il est prétendu, d’achever l’oeuvre avant les élections prochaines, pourquoi ne pas étaler le processus de révision sur toute la période de transition ? Et puis, enfin, n’y a-t-il pas incohérence à constater que les conditions, à la fois administratives et matérielles (voir un autre billet), ne sont pas réunies pour l’organisation d’élections présidentielles à brève échéance, et de programmer dans le même temps un référendum ?

La question de l’organe de révision est celle qui vient immédiatement à l’esprit après celle du temps. Est-il concevable que le CNT soit cet organe là ?

Une première piste de réponse possible est de s’en référer à la Constitution en vigueur. D’aucuns seront tenté de l’interpréter comme confiant le pouvoir de révision à l’Assemblée nationale ; et, ajoutera-t-on, puisque le CNT est organe législatif… Ils n’auraient pas tort sur l’interprétation du texte constitutionnel puisque celui-ci attribue bien l’initiative de la révision à l’Assemblée nationale (article 106) – concurremment avec le chef de l’Etat -. Mais encore faudrait-il admettre que le CNT est Assemblée nationale au sens de la Constitution, de toute la Constitution et non pas seulement de ses dispositions relatives à la révision, ce qui n’est pas gagné d’avance.

Mais cette piste là est, de mon point de vue, une mauvaise piste. En certaines circonstances, et nous y sommes, il est des soucis de respect du formalisme juridique qui ne peuvent être que suspects. Les institutions de la Centrafrique actuelle ne sont pas des institutions de la Constitution en vigueur. Tout le monde le sait. Et on peut soutenir, ce que je fais, qu’issues de circonstances exceptionnelles, c’est de là qu’elles tirent leur légitimité. Le recours à la Constitution pour fonder le processus actuel ne peut donc être ressenti que comme une farce. On attend des membres de la CNT qu’ils prennent leurs responsabilités, et leur principale responsabilité dans cette opération nous paraît être de créer les conditions d’un consensus qui permette de dire demain que l’oeuvre accomplie est une oeuvre nationale et non un énième tripatouillage constitutionnel par une clique de non-élus qui se seront arrogés le pouvoir de dire la volonté du peuple.

C’est la raison pour laquelle je reviens à mon idée précédente : confier la révision à un organe ad hoc, un comité constitutionnel (ou une assemblée constituante distincte de la CNT) pour tout dire, composé de personnalités représentatives de la société et d’experts constitutionnels. Cette voie me paraît la plus raisonnable. Qu’aurait à y perdre le CNT  ? Rien. Que pourrait-il y gagner ? La grandeur et le respect.

QUESTION D’ADÉQUATION : OBJET ET PORTÉE DE LA RÉFORME

J’ai choisi de ne pas examiner point par point le projet de reforme retracé au commencement de ce billet. Ce serait me couler dans une logique que je crois à la fois étriquée et pernicieuse. D’une certaine manière d’ailleurs, à lire ce projet, on a l’impression que ceux qui l’ont conçu sont restés enfermés dans la logique des régimes précédents. A la focalisation “positive” d’hier, toute tendue vers l’omnipotence présidentielle, ils répondent aujourd’hui par une même focalisation mais inversée, dans laquelle le seul objectif est de dépouiller l’institution présidentielle de ses oripeaux d’hier.

Mais il faut y prendre garde. L’enjeu n’est pas d’aller à la poursuite des fantômes d’hier. Il est plutôt et devrait être de veiller à ce qu’ils ne renaissent pas demain sous d’autres noms, ce qui veut dire donner à la Centrafrique des institutions stables et qui fonctionnent. C’est sur les garanties permettant de conjurer un tel mauvais sort et pour donner à la Centrafrique des institutions stables et opérationnelles qu’il faudrait se concentrer. Le rafistolage, fût-il ingénieux, n’y suffira pas. Il faut à la Centrafrique, en matière constitutionnelle comme dans les autres matières, une refondation. Et pour que cela soit, il faut faire table rase, ou plus exactement tout remettre sur la table et sur le chantier. Bref, il faut verser au débat et à la délibération toutes les questions fondamentales, parmi lesquelles celles qui suivent.

Quel État veut-on ? Bien entendu la question ne saurait être de savoir si la Centrafrique doit rester un Etat unique ou s’il faut admettre qu’il puisse être démembré et, partant, qu’il se reconstitue en plusieurs Etats. L’unité de l’Etat, l’unicité de l’Etat centrafricain ne saurait être soumise à discussion ou à négociation. C’est ma position. Mais ceci admis, il n’y a à mes yeux pas de tabou sur la structure constitutionnelle, et donc interne, de cet Etat.

Etat unitaire ou Etat fédéral ? Il faut le dire d’emblée, mon opinion est qu’il conviendrait d’opter pour la forme unitaire de l’Etat (étant précisé que cela veut dire que l’Etat est non seulement un, mais que le pouvoir en son sein est concentré entre les mains des autorités centrales, sous réserve de certains aménagements juridiques et pratiques). Mais il me semble aussi que les circonstances politiques, et notamment les revendications autonomistes, qui ne sont pas toutes à traiter par le mépris, imposent de ne pas faire l’impasse sur la question du fédéralisme. En se souvenant bien que fédéralisme ne veut pas dire partition ; en se souvenant aussi que le fédéralisme est une figure d’Etat sans modèle a priori, chaque Etat fédéral ayant construit ses propres équilibres en fonction de sa propre configuration sociale et territoriale et en fonction de son histoire. La coquille est donc vide et il appartiendrait aux centrafricains d’y mettre ce qu’ils pensent correspondre le mieux à leur identité et à leurs aspirations.

J’espère personnellement qu’on n’en arrivera pas à adopter cette forme d’Etat, parce qu’en un temps où le germe de la discorde nationale est introduit, il ne faudrait pas lui donner un surcroît de crédit qui le ferait perdurer. Mais je n’en vois pas moins un avantage majeur à un débat national sur ce point : si la forme fédérale est repoussée, ce sera parce que les centrafricains n’en veulent pas ; ce sera aussi moyennant la prise en compte des spécificités locales qui auront été exprimées et auxquelles il faudra apporter une autre réponse, sous la forme notamment d’une garantie constitutionnelle d’un traitement égal de toutes les portions du territoire et de toutes les populations. Rejeter le fédéralisme, mais ne pas négliger les identités locales qui demeurent légitimement fortes en Centrafrique (car il est naturel qu’un individu ait un ancrage territorial et les solidarités humaines qui vont avec), et que le fonctionnement des régimes précédents n’a fait qu’exacerber dangereusement : telle est ma conviction. Et pour répondre constitutionnellement à ce défi, des garanties peuvent être conçues à travers l’organisation territoriale et institutionnelle de l’Etat. On peut envisager les solutions à adopter de ce double point de vue sous l’angle d’une sauvegarde des identités. Je préfère y voir une garantie de la participation de tous les centrafricains à la gestion de leurs affaires.

Quelle organisation territoriale de l’Etat ? L’essentiel vient d’être dit. Il faudra seulement réfléchir au degré de centralisation ou de décentralisation administrative qui convient au pays. J’ai quelques idées en la matière, mais ne les exprimerai pas ici. D’abord parce que je crois fermement qu’il faut laisser ce débat au Comité constitutionnel (ou à l’Assemblée constituante) que j’appelle de mes voeux. Mais aussi parce que je pense que définir dans le détail l’organisation administrative de l’Etat n’est pas de l’essence de la Constitution ; et qu’il suffit que celle-ci en fixe les grands principes.

Quel régime politique ? Cette question du régime que l’on a traditionnellement, chez les juristes, tendance à cantonner au problème de l’organisation formelle des institutions étatiques et à la distribution des pouvoirs entre eux, s’avère plus large dans le contexte centrafricain, compte tenu de ce qu’il s’agit de rompre positivement avec le passé et de redéfinir le lien politique et social. Si donc l’organisation des pouvoirs est un point important – détermination des instituions de l’Etat : Président, Premier Ministre, Gouvernement, Assemblée nationale (plutôt Parlement avec une chambre représentative des identités locales selon moi), juridiction constitutionnelle, institution militaire etc. -, la question du lien politique ne revêt pas une importance moindre. En disant cela, je pense à la citoyenneté et au lien qu’il convent de faire entre celle-ci et la nationalité. Mais je pense aussi à la question du rapport de l’armée (et de ses membres) à la politique en général et à l’exercice du pouvoir en particulier. Et je pense aussi aux valeurs. Sur ce dernier point, je serais plutôt d’avis qu’il n’y a rien à retrancher à la Constitution actuellement en vigueur, et pas grand chose à rajouter, si ce n’est en termes de garanties.

Quelles garanties pour le respect de la Constitution ? C’est, me semble-t-il, sur ce point qu’une grande partie des efforts et de l’imagination des constituants devrait se porter. Il y en a plus qu’assez des Constitutions à la force de “tigres” de papier (lions et panthères seraient plus acclimatés en Centrafrique) ! Il y en a aussi plus qu’assez de l’impunité de ceux qui piétinent à longueur de mandats interminables les valeurs fondamentales de la Constitution et donc du peuple centrafricain. De l’affirmation qu’une valeur est fondamentale il doit enfin être tiré toutes les conséquences juridiques (voir aussi en ce sens un autre billet). Y manquer gravement, cela a une qualification en droit : crime. Et tout crime doit être puni. Si le droit international a été capable d’imaginer la répression du crime d’agression qui n’est autre chose qu’un crime commis à l’égard d’un peuple par des étrangers, pourquoi ne serait-il pas concevable qu’un peuple procède de la même manière à l’égard de ceux qui, en son sein, se sont joué délibérément des valeurs cardinales et qui ont mis en péril grave le lien national !

Le chantier est donc plus vaste que ce que le CNT envisage. Mais il faut aussi avoir conscience que par ce chantier il ne sera pas remédié à tout, parce que le droit ne peut répondre à tout tout seul. J’ai bien conscience enfin qu’en même que la refondation de la Constitution, il faudrait aussi engager celle de la culture et des moeurs politiques. Mais cela dépasse le cadre d’un billet aussi bref que celui-ci. Il y a déjà assez à faire avec la Constitution, sans pouvoir épuiser le sujet.

Que dire enfin : qu’il n’est pas trop tard pour faire les choses autrement. Ceci est un message à tous, mais spécialement au CNT. Ainsi qu’à Madame la Présidente Samba-Panza. Pourvu qu’il soit entendu.

JFAK

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