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PANAFRICANISME : NON, LE FACHO-POPULISME (ITALIEN) N’EST PAS UN ALLIÉ !

Cet article est par ailleurs paru dans le n° 4316 du quotidien “Le Démocrate” (RCA) en date du 24 janvier 2019.

Il circule depuis quelques jours sur l’Internet et dans nos différentes boîtes virtuelles un article sur les propos de Vice-Premier Ministre italien, M. Di Maio, dénonçant la France coloniale et appelant, comme réponse, à une sanction par l’Union européenne. Des propos dont beaucoup tirent volontiers la conclusion que l’Afrique a trouvé là un allié de taille contre son exploitation par la France. Et cela suffit pour qu’on s’enflamme, sans prendre la peine de questionner l’histoire, les doctrines politiques, ou même seulement la pertinence ou la faisabilité de la mesure (sanction) qui est préconisée…

Nous sommes ainsi, nous africains, prompts à épouser les querelles circonstancielles des Nations européennes et au-delà, voire de certaines élites dirigeantes européennes et au-delà, en croyant dur comme fer que notre libération est l’enjeu de ces querelles, ou que cette libération pourrait découler de leur issue.

Et c’est ainsi, en restant sur l’écume des choses, que nous passons à côté de l’essentiel : des objectifs de lutte, formes de lutte, moyens de la lutte et alliés dans la lutte qu’il nous faut et qui seraient propres à nous.  

Le panafricanisme en tant que mouvement et force de libération, pour être utile, doit quitter ces voies de la facilité, de l’exaltation strictement  émotionnelle ; il doit se penser rationnellement, froidement, en ne négligeant rien de l’histoire, notre histoire et celle des autres, de l’idéologie ou des idéologies, de l’économie, du droit, de la géopolitique, etc. C’est aux lames de fond qu’il doit s’affronter, et non aux trompeuses écumes des vagues de surface. Cela demande rigueur et exigence, et d’abord exigence d’une connaissance fine de l’autre, non pas comme il se présente, mais comme il est.

Il suffit de s’intéresser un peu à l’histoire pour s’apercevoir que l’Italie n’est pas la nation anti-colonialiste qu’on veut nous faire croire, et que le fascisme ou le facho-populisme italien n’est pas l’allié des luttes d’émancipation africaine ou des peuples noirs qu’on nous présente. Le Vice-Premier Ministre italien actuel est l’héritier idéologique et politique assumé de celui-là – Mussolini – qui affirmait que « l’impérialisme est la loi éternelle et immuable de la vie » et parlait de « festin colonial » à propos de l’Ethiopie ; héritier aussi d’un certain Manzinni qui, vers la fin du 19e siècle, considérait comme « inévitable le mouvement qui pousse l’Europe à civiliser les régions africaines » ; héritier idéologique et politique d’un fascisme italien qui rêvait de reconstitution de l’Empire romain et qui, dans cette idée, a participé à l’entreprise coloniale tout comme les autres Nations européennes, en Libye, en Erythrée, en Somalie, en Ethiopie, etc… et qui ne doit son « dégagement » des territoires coloniaux qu’à sa faiblesse économique et militaire de l’époque et au fait qu’il est sorti vaincu de la 2e guerre mondiale ; héritier enfin d’une idéologie raciste qui conduit ses tenants, encore aujourd’hui, à déconsidérer radicalement l’immigré, africain notamment, en fragilisant sa situation dans le pays, même quand il est en situation régulière, et en l’associant au crime, ainsi que le dénoncent nombre d’organisations italiennes actuellement.  

Tout ceci, direz-vous, n’exclut pas la sincérité de l’engagement de cet homme politique pour la libération de l’Afrique et des Africains. Admettons. Mais, cela ne serait le cas vraiment que si ce gouvernement s’engageait dans les réelles voies de la libération, s’il proposait les solutions les plus pertinentes pour y arriver. La sanction par l’Union européenne préconisée contre la France n’en est pas une, et cela simplement parce qu’en l’état actuel, juridique et politique, de la construction de cette Europe, l’UE ne dispose pas d’un tel pouvoir. Au lieu d’agiter un tel épouvantail qui a tout de l’attrape-nigaud, pourquoi ne pas évoquer les solutions véritables dont le levier se trouve en Europe ? Par exemple, pourquoi ne pas s’attaquer au levier européen du franc CFA, en prenant l’initiative d’une remise en cause des accords liés à l’Euro qui font désormais de la Banque centrale européenne une institution de garantie du franc CFA ? Pourquoi ne pas évoquer les règles douanières et commerciales européennes qui, depuis 1958 en principe et fin 1960 en pratique, perpétuent l’Afrique comme simple pourvoyeuse de matières premières pour les 27 Etats actuels de l’UE, dont l’Italie, et qui pénalisent à l’exportation les produits transformés sur le continent africain ; celles qui favorisent le déversement des entreprises européennes, y compris les entreprises italiennes, sur le continent, avec possibilité de rapatrier l’essentiel de leurs bénéfices, et qui dans le même temps s’opposent à ce que des entreprises africaines, telles que celles d’Aliko Dangote par exemple, puissent s’installer et prospérer sur le marché européen ; celles qui institutionnalisent la migration « propre » à sens unique, de l’Europe vers l’Afrique ? Et puis, dans un contexte où l’UE est la véritable puissance économique, pourquoi ne propose-t-on pas une augmentation substantielle de l’aide européenne au développement ? Et puis encore : les déplacements de population résultant notamment des guerres et instabilités politiques, comment expliquer que l’Italie, qui souhaite le maintien des africains sur le continent (mais pas celui des italiens en Italie) ne participe à aucune force de stabilisation en Afrique, que ce soit au Mali, au Congo ou en Centrafrique par exemple ? Voilà des pistes sérieuses qu’on aimerait voir emprunter, et des questions sérieuses auxquelles on aimerait avoir des réponses…

L’exploitation de l’Afrique par la France existe bien aujourd’hui et doit être combattue comme telle. Mais, outre qu’elle n’est ce qu’elle est que grâce aux collusions locales qu’il faut aussi combattre, elle repose par ailleurs aujourd’hui très largement sur des leviers européens, qui sont fondamentalement des leviers d’échange inégal – et donc d’exploitation –, des leviers qu’on maintient comme tels pour la bonne raison qu’ils profitent aux 27 Etats européens membres, sans exclusive.

Non la guéguerre entre Di Maio et Macron n’est pas ce qui fera avancer la cause de la libération de l’Afrique, réveiller nos morts, protéger nos populations, inverser le cours des choses quant au développement de l’Afrique et quant à sa place dans l’Economie mondiale, promouvoir un mieux être pour ceux des africains qui sont ou qui vivent en Europe.

Et non, le facho-populisme (italien) n’a jamais été, n’est pas, et ne sera jamais l’allié de la libération des peuples africains, car cette libération repose sur un principe qu’il combattra toujours : l’égalité entre les êtres humains.

Cette lutte, les africains doivent la mener et la gagner par eux mêmes. Et ne pas se laisser griser par des leurres, des chimères ; ne pas se laisser manipuler comme de grands enfants dépourvus de tout discernement, au point de faire toute confiance au premier prestidigitateur venu !

Jean-François Akandji-Kombé

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