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Aussi Mbala soit-il [Fantasmagories n° 6] [contes de ma brousse]

[ AVERTISSEMENT. “Mbala”, ainsi est nommé l’éléphant dans ma langue maternelle, langue de Centrafrique. À ne pas confondre avec le nom de scène d’un certain humoriste français d’origine camerounaise. L’idée m’est venue un instant de changer ce nom pour l’histoire qui suit. Mais c’eût été insulter la Majesté des forêts équatoriales que de la débaptiser ainsi pour de troubles affaires futiles. C’eût été aussi modifier le climat de la fantasmagorie n° 6 que voici…]

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AUSSI MBALA SOIT-IL

Ainsi parlait-t-on de Mbala. Ainsi décrivait-on Mbala. Ainsi décriait-on Mbala. Surtout, surtout, ainsi était Mbala ! Blagueur, hâbleur, vantard. Quand on le rencontrait, il valait mieux éviter.

Eviter de le rencontrer était encore ce qui pouvait se faire de mieux. Mais si cela arrivait malgré tout, s’abstenir de tout le reste. Par exemple, ne surtout pas lui dire qu’il fait beau, si vous ne voulez pas le voir s’étouffer de rage : « quoi ? Est-il là pour toi, ce soleil, fils de vaurien ! Tes bâtards de bâtardise de parents ne t’ont-ils pas appris l’ordre, l’ordre naturel des choses ? Est-il permis de ne pas savoir que le soleil est l’amante de Mbala, de Mbala seul ! Née rien que pour lui ; et d’ailleurs grâce à lui ; et blablablablabla et blablablablablablabla … »

Cela pouvait se poursuivre ainsi pendant un temps que seuls les éléphants pouvaient compter. Et cela se terminait toujours par un regret qui voilait la voix de Mbala : celui de ne pas être le chef, le roi, le tout-puissant. « Au moins, se disait-il, j’aurais pu fusiller tous ces insolents ! ».

Quant il avait fini de fulminer, Mbala ressemblait toujours au fier canard mouillé. Invariablement il s’ébrouait. Il commençait toujours par regarder en l’air. Qui le voyait à ce moment là en restait convaincu pour la vie : le ciel était le miroir de Mbala. Puis il lissait les manches de son pagne, en arrangeait les plis et, enfin, en redressait l’attache. Puis, invariablement aussi, il baissait les yeux. Des yeux hautains, qui se promenaient sur toutes choses et en prenaient possession dans un même mouvement. Une fois cet acte de possession absolue accompli, Mbala levait alors un pied, le posait à quelques centimètres devant lui et, le temps de maîtriser ce sol qu’il foulait, levait l’autre pied.

C’était Mbala, Sa Grandeur Mbala, avec son pas Altier, sa démarche Majestueuse. Il traversait ainsi le village. Avec la même dignité, il traversait ensuite la brousse. Toujours avec la même dignité, quand l’envie l’en prenait, il expulsait ses excréments dans la brousse ! Là il était seul. Heureusement ! Il n’aurait jamais, au grand jamais, supporté que quelqu’un  le voie dans cette position, le compare à tous ces esclaves de la nature, à tous ces dégénérés de village. C’est qu’en effet, il en était convaincu : Mbala chiait majestueusement. D’ailleurs il ne chiait pas ! Il déjectait, ce qui signifie que son corps expulsait toute substance indigne de lui. Enfin, après avoir traversé la brousse, il fendait du même pas un autre village, puis une autre brousse, et puis, et puis…

Tous connaissaient son âme irascible. Aussi personne ne parlait à Mbala… Seuls les enfants s’y risquaient encore, pour s’amuser. Mais cela ne durait jamais longtemps. Un seul battement de paupière de Mbala y mettait une fin instantanée ! Et comme si cela ne suffisait pas, les parents y ajoutaient quelques fessées. Hé, c’est qu’ils tenaient à leur tranquillité, les parents ! La stridence des hurlements d’un enfant aux fesses en feu était de loin préférable aux abîmes liquéfiantes de la voix d’un Mbala contrarié !

Donc personne ne lui parlait, même si les ricanements silencieux ne manquaient pas sur son passage. Enfin, quand je dis personne … Il y avait là quelqu’un. Une créature venue d’on ne savait quel village. Elle avait beau en déclamer le nom, celui-ci n’éveillait aucun souvenir. Même dans la mémoire des ancêtres qui en avaient assez d’être interrogés quotidiennement sur ce point. Elle avait fait naufrage ici. Etait-elle belle ? Nul n’aurait songé à poser la question. Il se murmurait seulement qu’elle avait dans le visage et dans les gestes quelque chose évoquant le mariage de la lune et d’un feu de brousse.

Mbala l'éléphantElle aussi se taisait au passage de Mbala. Son regard glissait pourtant sous ses longs cils. Rempli d’un feu vite enfoui à chaque passage de Sa Majesté. C’était plus que de l’admiration. Une envie ardente. Posséder cet homme et être possédée par lui. Personne n’avait compris. Mais sous ses airs dédaigneux Mbala l’avait remarqué. Lui aussi voulait. Un jour, leurs envies se rencontrèrent. C’était un soir. Peu de mots avaient été prononcés. Mais ils avaient rendez-vous, chez elle, au premier chant du coq. L’air capiteux du soir se chargea de propager la nouvelle. La Créature était euphorique. Mbala pas ! A peine s’avouait-il à lui-même un certain trouble.

Mais, on le découvrit vite, le trouble, si infime soit-il, est mauvais pour un Mbala. Il était en lui comme un corps étranger. Voilà comment et pourquoi cela arriva !

Habité de l’étrangère, Mbala en vint à traverser une brousse dense où serpentait un petit cours d’eau. Il connaissait le chemin. Mais il n’était plus totalement lui-même. C’est pourquoi il ne vit pas le nid de la famille Mouche du pays des Tsé-Tsé. Il l’écrasa. Il n’avait pas fait exprès. S’il avait su, tout Mbala qu’il fût, son pied aurait fait un détour, et le nid serait resté intact.

Mais c’était arrivé. Et c’était le drame ! Non pas que quelque Mouche y eut perdu la vie. La famille au grand complet était au marché à ce moment là. Et comme toujours, elle avait emmené avec elle tout ce qu’elle possédait. Sauf l’huile à embellir le ventre de maman Mouche. C’était sa seule coquetterie. Le seul bien dont la perte pouvait donner à maman Mouche envie de tuer. Cela ne manqua pas. Sa fureur éclata à son retour. Elle jura devant tous que le coupable recevrait la mort au petit matin. Elle le jura sur la tête de ses ancêtres et de ses futurs arrières petits-enfants. Avec peine, son mari réussit à la calmer. Il lui parla longuement, doucement. Elle admit à la fin qu’il avait raison. Mieux que la mort il fallait humilier. Et comme la brise du soir avait bien rempli son office, que tout le monde savait où serait Mbala le lendemain matin, il fut décidé que la vengeance serait pour ce moment là. Elle serait infligée par toute la tribu des Mouches du pays des Tsé-Tsé…

Cela fut fait à l’aube. Sur le pas de porte de l’étrangère Mbala reçut ses 192 dards. Il n’y résista pas. Un sommeil puissant se saisit de lui quand il se jeta au lit. Cela dura deux lunes. Deux lunes de sommeil c’était beaucoup. Deux lunes peuplées de délires de mouches et de râles caverneux, c’était trop. L’étrangère attendit un peu. Décida qu’elle en avait assez d’attendre. Son dépit s’exprima. Des histoires sur Mbala circulèrent.

Ainsi périt Mbala…

JFAK

 

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