J’avais résolu, il y a de cela plusieurs semaines, de rédiger un billet sur le débat actuel en France relatif au droit d’asile, et notamment à l’application de la convention relative au statut de réfugié, sur la teneur de ce débat et sur sa tonalité. L’élément déclencheur de cette résolution a été une “polémique” qui agitait alors la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). A son origine, une interview du Conseiller d’Etat Jean-Michel Belorgey, Président de chambre à la dite Cour. Il y dénonçait certaines méthodes d’instruction des dossiers de demande d’asile par certains agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ainsi que certaines méthodes de jugement prisées par certains juges. La réponse n’a pas tardé. Elle est venue du corps représenté des juges de l’asile. Elle a consisté – et s’est réduite – à s’indigner de mots et qualifications prêtées à Jean-Michel Belorgey par la journaliste qui l’a interviewé (en réalité ces mots avaient bien été prononcés, mais ne visaient pas la généralité des juges de l’asile) : “intolérable”, “trop, c’est trop !”… Du fond du problème, il n’a guère été question. Et pourtant ! On était en plein débat sur une réforme, considérée comme fondamentale, du droit d’asile en France. Et on pouvait trouver souhaitable que ce débat se noue sur la base d’un état des lieux ou, comme aiment à la dire les politiques d’aujourd’hui, d’un “diagnostic partagé”, plutôt que de se racornir sur la question du juge compétent en la matière. On pouvait penser avoir droit à un état des lieux sans concession, dont il aurait résulté une identification précise des failles du système, celles que les candidats à l’asile exploitent parfois, mais aussi celles qui ternissent et compromettent la mission de protection. Cela aurait sans doute nécessité, à l’occasion de l’élaboration des rapports parlementaires ou en complément d’eux, que l’on entende les acteurs, tous les acteurs, qui connaissent intimement par longue fréquentation et pratique le “monde” de l’asile, des membres des ONG au juges de la CNDA en passant par les agents de l’OFPRA et les fonctionnaires du ministère de l’intérieur. Et à ce compte là, pourquoi pas un certain Jean-Michel Belorgey, ou d’autres qui font les mêmes constats que lui ? Mais je voulais aussi écrire ce billet pour dire qu’on n’est pas mauvais juriste parce qu’on a le souci de la dignité de la personne humaine dans son application ; que ceux qui se targuent d’être de purs techniciens, mécanologues du droit, se leurrent sur les fonctions du droit, etc…
Mais enfin, je n’ai pas écrit ce billet et ne l’écrirai pas. En définitive, à la participation à un “débat” que je trouve à la fois biaisé et bien mal engagé, je préfère donner ici une tribune aux réalités décrites par Jean-Michel Belorgey. Il s’y mêle les sentiments de l’auteur ? Raison de plus ! Je m’engage, en retour, à garantir le droit de réponse de quiconque ne partagerait pas ces vues. Espace de débat donc, à la mode du JFAKiBLOG.
Place, à présent, à Jean-Michel Belorgey…
JFAK
LA MÉTHODE OFPRA, par Jean-Michel Belorgey, Conseiller d’Etat honoraire, Président de chambre à la CNDA, et ancien Président et Rapporteur général du Comité européen des droits sociaux (Conseil de l’Europe).
Les ressorts ordinaires des décisions de l’OFPRA et de celles de la CNDA éconduisant des demandeurs d’asile ont fait l’objet de nombreuses analyses[1]. On a en revanche, incontestablement, à tort, insuffisamment insisté sur le ton et le climat des entretiens, à l’OFPRA, et des audiences, à la CNDA, ayant débouché sur ces décisions.
Nombre d’entretiens conduits par les officiers de protection de l’OFPRA le sont, autant qu’on peut en juger par les comptes-rendus qu’ils en établissent eux-mêmes (les interprètes, quand il y en a, ne sont pas parties prenantes à la rédaction de ces comptes-rendus, et le demandeur d’asile, qu’il soit analphabète, non francophone, ou francophone, n’est pas appelé à le signer), sur un ton qui n’a rien à voir avec celui qu’on serait en droit d’attendre d’un préposé à la protection de victimes de persécutions A tel point qu’on ne peut s’empêcher de se demander d’où il vient que ceux qui, à les en croire, en ont fait usage, éprouvent le besoin de s’en ouvrir (vanter) dans le document qu’ils établissent à l’issue de l’épreuve qu’ils ont fait subir au candidat à l’asile : flagornerie à l’égard d’une hiérarchie à qui on veut montrer qu’on fait ce qu’il faut pour que le tableau de chasse soit conséquent, gloriole de chasseur ne respectant pas vraiment le gibier qu’il traque ? Mystère. Cela quand le compte rendu d’entretien est pour de bon un compte rendu d’entretien. Ce qui n’est pas la règle. Beaucoup, qu’ils soient manuscrits ou typographiés, sont difficilement intelligibles, soit qu’ils ne permettent pas de discerner ce que l’interrogateur cherche à savoir, ou à faire dire, soit qu’ils révèlent différentes sortes de contradictions dans lesquelles, au fil de son jeu d’escrime, en vue de surprendre, faire ouvrir sa garde, s’enferrer l’interrogé , l’interrogateur s’est lui-même empêtré. « Donc ? » ; « C’est tout ? » ; « Concrètement ? » :autant d’expressions ou de vocables destinés à non seulement requérir du candidat à l’asile qu’il soit plus disert, capable de talent d’orateur ou de conteur (Rilke : «Donnez-nous un conteur ! »), mais à suggérer à celui qu’on sollicite qu’on n’est pas prêt à croire à ce qu’il raconte. « Et votre voisin était entré dans le maquis…. ? »« Et votre père a été tué ? » ; « Donc, votre sœur a été violée ? » « Mais est-ce que ça suffit que votre voisin entre dans le maquis pour que la police vous recherche…? » Ou « Est-ce que ça suffit que vous ayez des problèmes avec la police, pour qu’on tue votre père, qu’on viole votre sœur ? ». Cela pour le style noble. Il y a aussi le style « petit-nègre ». Là encore à qui s’agit-il de montrer son mépris ? Au requérant ? Au juge qui, éventuellement, reverra l’affaire ? On retrouvera malheureusement plus d’une fois les mêmes questions dans la bouche des membres des formations de jugement de la CNDA. La responsabilité collective ? Connais pas. On ne lit pas, ou plus assez, les histoires de l’Occupation, de la Résistance, de la colonisation, de la décolonisation. Le pire, il y en a de plusieurs sortes, est naturellement quand l’entretien se déroule, ce qui n’est pas rare, soit par le truchement d’un interprète, soit sans, dans une langue que l’interrogé ne pratique que modérément (russe pour des Tchétchènes ou des Azéris de générations tardives, serbo-croate pour des Tziganes, turc pour des Kurdes…) ou quand, s’agissant d’un entretien sans le truchement d’un interprète, l’interrogateur ne la parle pas vraiment non plus, se borne à se piquer de la parler. Cette dernière situation est à vrai dire franchement intolérable. Mais quelques autres ne le sont pas moins. Tout d’abord parce que l’interprète joue tant bien que mal le rôle de témoin de moralité. Ensuite parce qu’il est un « sas » permettant d’éviter qu’un demandeur ne soit interviewé par celui de qui dépend son sort dans la langue de l’autorité, de la majorité, par laquelle il se plaint d’être persécuté. Alors que, en l’absence d’interprète, le requérant se retrouve dans une situation connue, trop connue, qui ne peut que le traumatiser. Tout le monde sait cela. On persiste à n’en pas tirer de conséquence.
Comment un demandeur d’asile de type standard, non pas un héros bourgeois des luttes pour la liberté du XIXème siècle, mais un homme ordinaire, pris dans l’engrenage des règlements de compte politiques, soumis aussi, fréquemment, à la double pression contradictoire de plusieurs forces rivales, les « gouvernementaux » et les autres, les autorités turques et les mouvements kurdes, les autorités sri-lankaise et les Tigres tamouls , et les choses sont encore plus compliquées au Caucase et en Afrique, serait-il en mesure, à moins de faire preuve d’une force de caractère et d’un talent exceptionnels, de résister à des méthodes d’interrogation reposant sur la conviction que l’interrogé est un menteur, que les documents qu’il produit, s’il en produit, sont faux ; qu’il n’y a pas de raison qu’on l’ait tracassé pour une malheureuse protestation dans un bureau électoral, ou la détention de quelques malheureux documents de propagande en faveur d’une force d’opposition ; que, s’il ne sait pas tout de l’histoire du parti pour lequel il a milité, c’est qu’il n’était qu’un comparse auquel personne ne pouvait vouloir du mal ; qu’il n’est pas crédible ; s’il s’est plaint à la police et à la justice, qu’elle n’aient pas accueilli ses plaintes ; qu’il est anormal qu’il ne sache pas faire la différence entre détention administrative, détention provisoire, détention pour peine, ni entre interrogatoire par la police, par un magistrat, ou différentes sortes de magistrats du siège, civils ou militaires etc…, catégories dont on n’est pas toujours sûr, pourtant, qu’elles existent pour de bon, par-delà les apparences, dans le pays des persécution..
Comment le même genre de demandeur d’asile peut-il comprendre qu’il lui faille déballer les mauvais traitements subis, sachant (heureusement, il ne le sait pas, mais il n’a pas forcément les mots, et la pudeur, ou l’horreur des violences subies le rendent souvent muet) que, s’il les déballe, et si un certificat médical atteste de leur compatibilité avec les mauvais traitements allégués, on n’en tiendra pas compte (les synthèses des officiers de protection et les décisions de certaines formations de la CNDA rejettent ordinairement comme ne valant rien des certificats médicaux faisant état, sous le signe de la compatibilité bien sûr, – mais que veut-on de plus, des certificats des bourreaux ?- d’atteintes physiques et psychologiques d’une extrême gravité).
Mais souvent l’officier de protection, et à sa suite beaucoup de membres des formations de juge de la CNDA, sont en outre, et cela est rédhibitoire, des gens qui savent. Tout est dans leur documentation, le monde est, sur un mode littéralement borgésien, totalement inclus/enclos dans leur documentation. Et ce qui n’y figure pas n’a pas existé. Une légère variante dans la forme de la carte de membre d’un parti dont le modèle est enregistré dans cette documentation, dans la description par le demandeur d’une manifestation telle que relatée dans cette documentation, et la cause est entendue. On le laisse d’ailleurs plus ou moins entendre à celui qui s’est ainsi « coupé ». Et, si ce n’est sous le signe de la plus extrême sévérité, c’est sous le signe de l’ironie, de la dérision, que s’achève l’entretien. D’où vient cependant qu’il soit fait plus de cas de certaines documentations que d’autres ? Et que, s’agissant par exemple du Sri-Lanka, certaines formations de jugement s’obstinent à tenir pour nulles et non avenues les informations dont elles disposent, de sources certaines, sur la répression qui persiste à y sévir ?
L’anthropologie aussi, à laquelle la documentation de base de l’OFPRA ne fait sans doute pas assez place, est, on a assez pu s’en rendre compte sur quelques exemples, de plus en plus fréquemment mobilisée. Hélas, selon les mêmes procédés. Avec le même sens de la certitude dans la référence à des données soit incomplètes, soit erronées.
« narration stéréotypée » ; « déclarations difficilement crédibles, dépourvues de vraisemblance ; « récit dépourvu de tout élément personnalisé » ; « peu d’éléments contextuels (?) convaincants » ; « description ne revêtant pas le caractère d’une situation vécue » ; « explications peu spontanées ». Il suffit souvent, spontanéité mise à part, dont on ne voit pas qu’elle soit en général facilitée par le style des officiers de protection, ou par le stress habitant le demandeur, pour se persuader du contraire, de relire le récit originel de persécution, ou l’entretien, (quand il n’a pas été reconstruit à la gloire de l’habileté, élégamment élucidatrice, de l’officier de protection). La violence, au reste, est malheureusement toujours plus ou moins stéréotypée. Comme la pratique des fraudes électorales, ou celle de la responsabilité collective, ou la complicité ordinaire entre gouvernements, polices, juges, et forces mafieuses. Ce sont, à l’expérience, les motivations des conclusions des officiers de protection, ou celles de ceux de leurs supérieurs hiérarchiques qui les ont corrigées, en vue de conclure au rejet des demandes, ce qui n’est pas rare, quand les premières inclinaient à être positives, celles, encore, de nombres de décisions de la CNDA, qui, bien souvent, paraissent, elles, et cela est grave, entachées de stéréotypes.
Jean-Michel BELORGEY, Mars 2011.
1 Voir notamment J.M. Belorgey :
– « Le droit d’asile et l’intime conviction du juge », Plein droit n° 59-60, mars 2004
– « Des récits de persécution (et de la manière de les lire ou de les entendre), ou nouvelles réflexions sur le contentieux du droit d’asile », Plein Droit n°64, avril 2005.
– « Le droit d’asile en perdition », Plein Droit n°74, octobre 2007 ;
– « Je l’sens pas, j’vois pas ses yeux », décembre 2008
– « OFPRA/CNDA : le comique- croupier » , mai 2009
– « Droit d’asile et anthropologie » (1)- sur le cas particulier du kanoun albanais ; (2)- L’hindouisme au poing … et pas au point ; (3) – Les mouvements messianiques congolais ; 2011
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