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Centrafrique. Les tentations fédéralistes (3) [Figure n° 2 : le fédéralisme partitionniste]

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[Lire le début de la série :

 Fédéralisme à la mode Séléka

Vous l’aurez deviné : il est question ici de la version « sélékiste » du fédéralisme.

Mais, me direz-vous, il n’y a pas et il ne saurait y avoir de version « sélékiste » du Fédéralisme ! Ce que réclame à cors et à cri la Séléka, n’est-ce pas la partition de la Centrafrique, solution qui se situe précisément au-delà de la fédération ? Et puis, ajouterez-vous, certaines tendances de ce « mouvement politico-militaire » qui déclarent aujourd’hui, avec des vibrato qui ont du mal à convaincre, leur attachement au maintien de l’Etat centrafricain sur son territoire actuel, ne jurent-elles pas que par l’unité de l’Etat, affirmant à qui veut les entendre leur attachement à un vivre ensemble entre tous les centrafricains dans un même espace et sous un même et seul gouvernement ?

On aurait raison de poser toutes ces questions, et raison aussi de douter de l’affirmation initiale. Mais, ce faisant, le doigt serait mis sur ce qui constitue précisément la première caractéristique de cette version-ci du projet fédéral.

La transparence et la franchise lui sont étrangères ; elle avance appuyée sur la tromperie et la perfidie.

Mais elle n’est pas moins là.

La stratégie, parce qu’il s’agit bien de cela, qui doit conduire à la fédéralisation de la Centrafrique se révèle pour qui veut bien lire entre les lignes des déclarations des responsables de la Séléka. Laissons la parole à quelques uns :

« J’ai considéré toujours que la partition est une fausse-bonne idée. Partant, ceux qui défendent l’idée de la partition sont ceux qui essaient de défendre les droits de la communauté musulmane. Ils estiment que si la partition était l’ultime solution politique, alors il faut la faire. Seulement, c’est bien à défaut d’une solution politique nationale qu’ils revendiquent cette partition. En fait, le choix de tous est de voir les droits de la communauté musulmane, dans sa diversité, d’ailleurs reconnue. Je considère qu’à termes, par l’engagement de chacun, on ira à la solidarité nationale ». Eric Néris Massi, 20 août 2014.

« Nous avions fait des propositions. […]Pour que la paix revienne, il serait souhaitable de remettre encore le pouvoir à l’ex-Séléka. […] Il y avait deux propositions et c’était la première. La seconde proposition, c’est qu’il y ait partition [la première est le retour de la Séléka au pouvoir]. Il y a plusieurs manières de séparer les gens à savoir le fédéralisme et autres. Tout dépendra de la manière dont on va s’entendre. Mais qu’il y ait partition et qu’on sépare les gens définitivement pour qu’il y ait la paix. Si on ne prend pas en compte l’une des solutions proposées, je crois qu’il n’y aura pas la paix ». Michel Djotodia, 3 septembre 2014.

Fédéralisme stratégique et mortifère

De ces extraits, il peut être tiré, a minima, les conclusions suivantes :

Primo, ainsi qu’il a déjà été relevé, le fédéralisme s’inscrit ici dans le strict registre d’un jeu stratégique, pensé de la manière suivante : j’agite l’épouvantail du pire – la partition – afin de négocier le meilleur pour moi – l’exercice du pouvoir sur tout le territoire ou sur une la large portion que j’occupe (entre 60 et 70% selon les estimations) avec un statut de large autonomie – ; et, pour que la menace ultime demeure crédible, je maintiens mon état d’armement et donc ma capacité de nuisance.

Deuxio, le fédéralisme n’est pas pensé comme tel et demeure une option confuse dans l’esprit des dirigeants de ce mouvement ; à moins que les propos de Michel Djotodia (ci-dessus) ne s’analysent en une prise de position en faveur d’un fédéralisme de dislocation, la mise en place d’un Etat fédéral n’étant qu’une étape vers la proclamation définitive d’un Etat indépendant, le fameux Etat du Dar-El-Kouti.

On a, avec ce dernier élément, le deuxième élément caractéristique de l’approche sélékiste du fédéralisme. Il n’y a pas besoin de s’y étendre. Sauf à en dire, tout de même, que la revendication de cette forme d’Etat n’est rien d’autre ici qu’un tremplin vers un pouvoir que les chefs de la Séléka tiennent à exercer à nouveau, à tous les prix.

A tout prendre, certains centrafricains qui ont le sentiment légitime d’être les oubliés de Bangui depuis les indépendances voudraient croire que ce pouvoir revendiqué l’est à leur profit, pour les sortir de la misère, pour les rétablir dans leur dignité d’êtres humains et dans une prospérité retrouvée. C’est d’ailleurs ce qu’on leur promet.

Mais quel esprit éclairé, c’est-à-dire non obscurci par le ressentiment et le désir de vengeance, pourrait y croire ? La gestion par la Séléka des territoires qu’elle contrôle est à ce point de vue édifiante. Ce mélange inédit d’obscurantisme, de prédation, de mépris de la vie et des personnes, est-ce cela la nouvelle gouvernance en faveur de laquelle on appelle à la séparation plus ou moins radicale des populations et du pays ?

Ce qui inspire ces apprentis-sorciers, à savoir l’expérience du Soudan du Sud avec son cortège de chaos et de désolation, devrait achever de convaincre que cette voie là est la pire de toutes !

Il n’y a rien à ajouter. Il reste seulement à aborder la dernière figure de la tentation fédéraliste :

Jean-François Akandji-Kombé

2 comments on Centrafrique. Les tentations fédéralistes (3) [Figure n° 2 : le fédéralisme partitionniste]

  1. jfakiblog dit :

    J’aime à penser que la perspective d’une annexion par le Tchad restera une simple hallucination de quelques esprits dérangés, d’un côté et de l’autre de la frontière. La vigilance ne s’impose pas moins. S’agissant du retour de Djotodia et de Bozizé je réserve ma réponse, car je ne vois pas très bien le lien avec la question du fédéralisme qui me donne le plaisir de vous lire.

  2. Rebecca Tickle dit :

    Le fédéralisme selekiste risque d’être in fine une annexion par le Tchad. Le débarquement de Djotodia et de Nouredine serait une bonne chose pour la paix en RCA. Tout le monde veut vivre en paix, même les seleka de Bambari…

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