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Centrafrique, élections – Paroles d’électeur…

NOTRE CENTRAFRIQUE DEMAIN : CE QUE JE CROIS

I

JfakElecteurQue Béchir Ben Yahmed veuille bien me pardonner d’emprunter, avec cette formule du « ce que je crois », au fameux titre de ses éditoriaux dans Jeune Afrique. C’est que je n’ai pas trouvé plus précis pour rendre compte de ce que je veux ici partager.

En quoi ce que moi je crois peut-il intéresser les autres ? Voilà une question cruciale. Il s’en trouvera parmi les lecteurs pour la poser, à juste titre, et peut-être aussi pour y donner une réponse définitive par un « on s’en fout ! ». Je les comprends. Car ceci n’est pas la parole d’un candidat à la Présidence de la République, et encore moins celle d’un rabatteur d’électeurs ou d’un encenseur de futur Président.

Celui qui s’exprime ici se voit comme un citoyen centrafricain parmi d’autres. Mais un citoyen qui s’est juré un jour de la descente aux enfers de notre pays, la République centrafricaine, de ne plus céder un seul pouce de terrain à ceux-là qui ont fait notre malheur et qui croient encore que le pays leur appartient en propre. Voilà la justification principale de l’acte que je vais commettre. L’idée m’est venue aussi, mais de manière plus subsidiaire, que je devais bien une telle explication à tous les compatriotes qui m’ont fait l’honneur, et parfois l’amitié, de me solliciter, d’échanger avec moi ou, plus simplement, de me suivre dans mes périgrinations, notamment dans les médias (blogs, télés, etc.).

Je dois enfin, pour en finir avec ces préliminaires, avertir le lecteur de ce que je ne compte pas lui dire pour qui je vais voter aux toutes prochaines élections présidentielles. Je sais bien que les habitudes prises sont autres, que le dernier chic est de se pavaner sur l’internet, et pas seulement là, affublé du meilleur costume et paré du dossard de son candidat, et de se proclamer son champion, qu’il ait un programme ou non, qu’on l’ai lu ou non. On m’en excusera, mais j’ai beaucoup de peine à me couler dans ces habitudes, au service d’un homme ou d’une femme, et non d’idées et de convictions. J’irai bien voter pour les élections présidentielles, mais mon choix s’exprimera dans le secret des urnes.

Cela étant dit, quel est ce que je crois pour mon pays, pour son avenir, et pour qu’il ait un avenir digne d’un Etat et d’une Nation.

II

Je crois d’abord que pour construire cet avenir, il est impératif que nous nous retournions sur notre passé commun pour admettre, lucidement et sincèrement, que nous avons failli. Oui, nous, centrafricains, avons failli, tous autant que nous sommes. Avant tout nos dirigeants, certes, qui ont systématiquement violé leur serment de servir le pays et le peuple, et se sont transformés en prédateurs, avides d’honneur, de pouvoir et d’argent, fût-ce au prix du sang. Mais nous, citoyens, qu’avons nous fait ? Hormis quelques rares soubresauts corporatistes, estudiantins ou syndicalistes, nous avons manqué à jouer efficacement notre rôle de contre-pouvoir, de garde-fous (au sens propre du terme), et finalement de gardiens vigilants et permanents de notre liberté collective, celle de s’exprimer, celle d’aller et venir, mais aussi celle d’entreprendre.

Notre faillite en tant que société civile et, surtout, citoyenne, nous devons l’assumer pour ne plus permettre qu’elle se reproduise demain. Mais pour que cela soit, il nous faudra pousser l’effort de lucidité jusqu’au bout. Jusqu’à reconnaître que c’est sur les tares mêmes de notre société, sur une certaine inaptitude à nous penser collectivement, sur nos réflexes claniques, tribalistes, régionalistes que se sont appuyés tous nos dirigeants pour exploiter notre pays et nous exploiter. Jusqu’à reconnaître que ces réflexes sont aujourd’hui plus présents que jamais, plus solidement enracinés. Il n’y a qu’à assister à une rencontre de centrafricains pour le constater : le mince vernis du discours national se craquelle très vite sous le poids des recherches de solidarités (« tu es d’où ? », « de quelle ethnie ? », « et tes parents ? »), des revendications de partage régional du pouvoir dans le temps (« c’est notre tour ! »), des revendications de « fiefs » qui n’ont pas d’autre rationalité qu’ethnique, et de la reproduction de schémas de domination ethnique (« vous, de telle ethnie, vous avez toujours été nos esclaves non ? »). C’est ainsi aussi qu’on a pu voir des « intellectuels », en ces heures sombres de notre histoire, prendre leurs plumes pour dénoncer les crimes commis sur les populations de leurs régions et de leurs régions seulement, alors même que ces crimes et atrocités étaient le lot quotidien de tous les centrafricains sur toute l’étendue du territoire.

Mais, être lucide c’est aussi reconnaître que si nous avons, collectivement, en tant que société de citoyens, contribué à la déliquescence de notre Etat, chacun d’entre nous n’est pas, de ce point de vue, à loger à la même enseigne. Je pense ici plus particulièrement à nos élites – politiques, économiques et intellectuelles – et au sein de ces élites, à ceux que nous aimons précisément appeler et qui aiment à ce qu’on les appelle les « intellectuels » ; groupe dont, hélas, je suis. Elle est lourde, leur – notre – responsabilité dans la situation actuelle de la République centrafricaine. Alors qu’on pouvait attendre de nous un leadership positif par la conscientisation et l’exemple, on n’a eu droit qu’à l’arrogance au service de la cupidité. Depuis l’indépendance du pays, en 1960, les parcours se suivent et se ressemblent, à quelques exceptions près. Dans la fleur de la jeunesse, souvent pendant qu’on est étudiant, on milite pour les idéaux que sont la souveraineté pour le peuple, la justice sociale, l’éducation des masses ; on rédige des manifestes, on prend la tête de manifestations et de protestations ; bref, on donne à voir des qualités de lutteur intransigeant, capable du sacrifice suprême, contre l’impérialisme et ses valets intérieurs, contre le pouvoir féodal et patrimonialisé, contre la médiocrité au pouvoir, pour le bien être du peuple. Puis vient le temps de la fin des études et de la recherche d’insertion professionnelle. Nécessité faisant loi, on pactise avec le système, en croyant sincèrement ou en faisant croire qu’on va le transformer de l’intérieur. Or, une fois à l’intérieur, on devient ou on finit par devenir zélote du système, plus royaliste que le roi, acteur de la médiocrité jusqu’à imprégnation. C’est alors qu’on est chargé de la tâche de gardien du temple, de verrouilleur du système, pour que ceux qui sont aujourd’hui comme nous étions hier ne viennent pas à y entrer, et pour veiller à ce que les rares qui seront admis entrent en laissant dehors leurs ardeurs de combattant pour la justice en même temps que leur intelligence.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur le rôle pervers de « l’intelligentsia » centrafricaine. Mais il faut aller à l’essentiel pour ne pas lasser. J’ai toujours pensé, et continue à penser que notre pays souffre de l’arrogance de ses intellectuels. La bêtise de cette arrogance est inversement proportionnelle à l’assurance des intéressés d’être seuls détenteurs du savoir et de la science, d’être par conséquent les sauveurs de la patrie et des « petites » gens, inversement proportionnelle aussi au mépris qu’ils ont pour tous ceux qui ne sont pas « intellectuels » comme eux. Il ne leur vient pas à l’esprit que cette arrogance les coupe de la société, qu’elle les assèche aussi sûrement que les branches flamboyantes privées des racines de l’arbre qui les porte et, par conséquent, privées de sève nourricière ; que par leur mépris jusqu’à l’égard de leurs propres parents qui, pourtant, se sont saignés aux quatre veines pour les envoyer à l’école, ils se coupent d’une intelligence des êtres et des choses propre à leur terre et qu’en fin de compte ils demeurent de sombres incultes par delà leur instruction ; que précisément cette instruction dont ils se targuent est plus aliénante que libératrice lorsqu’on croit pouvoir y trouver des solutions toutes faites plutôt que la compréhension des facteurs et dynamiques qui expliquent ces solutions, lorsqu’on est persuadé de détenir avec elle une boîte à outils universelle faisant de soi l’alpha et l’omega de la société centrafricaine ; bref lorsqu’on est enclin à prendre pour modèle ce qui est enseigné sur les bancs de l’école pour la seule raison qu’il est ainsi enseigné et qu’il vient de sociétés prétendument « supérieures ».

A vrai dire, je crois profondément que pour notre progrès national les « intellectuels » sont à former et à réformer plus que le peuple : nous avons besoin de réapprendre à nous taire pour écouter, écouter pour entendre, entendre pour connaître, et il serait assurément salutaire que chaque « intellectuel » fasse un stage régulier au village, dans les vraies conditions du village, des conditions qui mettent au contact de la terre, de la nature, des femmes et hommes vrais qui constituent la sève de ce pays et son intelligence, de leurs besoins, de leurs contraintes, de leurs raisons d’être. Cela non pas pour oublier ce que ces « intellectuels » ont appris ailleurs, mais pour être à même de le recontextualiser et donc de le relativiser. Alors, et alors seulement, nous pourrons, nous « intellectuels », être d’une utilité pour la nation centrafricaine. Alors, et alors seulement, nous pourrons prétendre éclairer le chemin du progrès collectif.

III

Je crois aussi que s’il faut regarder sans concession notre passé, c’est pour mieux construire notre avenir et le construire autrement, ensemble. Pris dans le feu d’un discours il y a quelques mois, j’avais lancé que l’avenir de la République centrafricaine nous appartient, qu’il doit nous appartenir. Je le redis ici. Ceci, pour signifier d’abord que la République centrafricaine doit être fondamentalement l’affaire des citoyens centrafricains et qu’elle ne le sera que si ces citoyens sont déterminés à se lever pour qu’il en soit ainsi. D’autres que moi diraient, mais cela revient au même, que la solution est dans le peuple.

Or, faire de notre République une République des citoyens, cela ne sera pas possible seulement en allant voter pour un futur Président ou pour de futurs députés. Cela dépendra de notre aptitude à ne pas quitter le terrain une fois ces élections passées, de notre degré de vigilance sur l’essentiel, c’est à dire sur les valeurs, de notre détermination de tous les instants à rappeler à ceux qui nous gouvernent leurs engagements, de servir, de ne regarder qu’à l’intérêt général, de ne pas s’enrichir sur notre dos, de ne pas s’entendre avec des intérêts étrangers au détriment de nos propres intérêts, d’entreprendre tout pour notre éducation, pour notre santé, pour notre prospérité. Bref, nous avons à être tout autant comptables, mémoires des engagements pris, qu’obstacles résolus à un retour aux vieilles lunes et habitudes de mauvaise gouvernance.

Pour parvenir à cela, nous ne pouvons compter que sur nous mêmes, sur notre force de citoyens.

Une telle position a ses exigences.

Elle exige d’abord de nous que nous renoncions à nous reposer entièrement sur ceux que nous avons porté au pouvoir ; que nous soyons résolus à leur rappeler que si par notre vote nous leur avons offert la présomption d’être les plus aptes à conduire nos affaires dans l’intérêt de notre Nation, ils doivent s’en montrer digne et en faire la preuve tout au long du mandat que nous leur avons confié. Toute notre histoire nous pousse à une telle position, qui n’est pas de défiance mais d’exigence. L’expérience même de la campagne électorale que nous vivons actuellement devrait, elle aussi, nous inciter à nous en tenir à cette position : chaque jour de campagne qui passe nous montre que le culte de la personnalité est toujours là ; qu’il y aura toujours des maître-flatteurs par intérêt pour l’entretenir ; mais aussi que non seulement nos prétendants au pouvoir n’y sont guère insensibles, mais qu’ils y goutent tout à fait, au point de se prendre déjà, pour nombre d’entre eux, pour le Messie, le Sauveur, le Guide, l’Oracle, le Père de la Nation, et je ne sais quelle aberration encore. Notre vote prochain ne sera un vrai vote de refondation que s’il porte le message que nous ne donnerons plus de chèque en blanc et que ce que nous donnons, nous pouvons, dans l’exercice de notre souveraineté, le retirer.

Nous reposer sur nos propres forces nécessite cependant organisation. Une organisation citoyenne et non pas politique au sens organisationnel du terme. Je ne veux pas dire qu’il faut se détourner des partis politiques. Non. Il faut seulement prendre conscience de ce que en leur état actuel, nos partis politiques ne sont pas les lieux où pourrait s’exercer une telle vigilance. C’est, en effet, le destin de ces partis, chez nous comme ailleurs, que d’être avant tout des outils au service d’un seul pour la conquête et la conservation du pouvoir. Jusqu’à ce qu’ils se transforment en cadres de débat démocratique, en outils d’éducation politique dépassant les clivages partisans, il nous faut imaginer autre chose. Cet autre chose ne peut consister qu’en une organisation ou en des organisations relevant de la société civile et, mieux encore, en ce qu’on appelle des organisations citoyennes.

La conscience d’une telle organisation de la société civile, voire la réalité de cette organisation, est déjà présente. Nombre de centrafricains, pour ne pas dire tous, appartiennent à des organisations civiles, formalisées ou non, érigées en association, en ONG, ou seulement en groupements de fait. Ce sont là des lieux privilégiés pour nous essayer à cet exercice citoyen et, de manière ultime, pour résister à une éventuelle oppression. Ces « cellules de base » sont inestimables. Mais nous avons aussi besoin de les dépasser, non seulement parce que nous avons besoin d’unir les forces, mais aussi et surtout parce que nous avons un besoin impérieux de dépasser nos cercles naturels pour créer une dynamique nationale, par delà nos appartenances familiales, ethniques, régionales, religieuses et politiques, parce que notre pays a besoin que nous commencions à construire un collectif qui dépasse ces frontières, ce qui est une manière de nous forger enfin un destin commun.

De telles organisations citoyennes commencent à fleurir. J’ai d’ailleurs moi même pris l’initiative de l’une d’entre elles, dénommée « Union Sacrée du Peuple Centrafricain ». Il faudra les faire vivre, et je crois, pour finir, qu’il se trouve aujourd’hui en République centrafricaine suffisamment des citoyens capables d’assumer l’engagement désintéressé qui permettra à de telles organisations de croître, pour un bien commun sur lequel nous aurons, je l’espère, l’occasion d’échanger prochainement.

Voter ne sera que le commencement de la reconquête citoyenne.

Jean-François AKANDJI-KOMBÉ

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