AVERTISSEMENT
De temps en temps, sous prétexte de fantasmagories, il vous sera servi des histoires sans queue ni tête. Mon imagination en sera la seule responsable (on se repose l’esprit comme on peut, n’est-ce pas ?). Les bons jours cela prendra l’allure d’un (mauvais) conte au clair de lune…
Lecteur raisonnable, passe ton chemin…
Sinon, tant pis pour toi, écoutes…
… Première fantasmagorie :
RAMUD
Ramud était brocanteur.
Petit, chétif, les cheveux rares, les mains noueuses, les pieds courts, il avait aussi la bouche plate. Mais il était léger, il avait le verbe haut, les yeux les plus vifs de la contrée, et l’imagination gambadeuse…
Quand on arrivait dans son échoppe, il était rare de le voir du premier coup. Ce qui envahissait les yeux était ce capharnaüm : des chaises clopin-clopant ; des amas de draps, sans doute blancs un jour, mais parcourus désormais de trous irréguliers ; des tables de festins inachevés ; des armoires heureusement amnésiques (qui voudrait savoir ce qu’elles ont enfermé?) ; des cuillères édentées ; des verres ébréchés ; des plats épais de restes ; des poupées monoculaires… Bref on ne voyait que des choses, qu’un amas de choses; l’oeil ne distinguait pas vraiment entre elles; mais on avait l’impression de les connaître tous, par leurs noms des jours heureux, parfois aussi par les noms en forme de jurons des soirées orageuses. Leurs histoires s’offraient à cueillir. Mais on n’en avait pas le temps… Surgissait toujours à ce moment là, sorti du tas, un murmure qui montait, qui montait… Jusqu’à se transformer en voix, puis en paroles, puis en phrases. Parfois, les phrases finissaient par appeler une mélopée. Tout cela faisait oublier les choses ; transportait quelque part. Et soudain, tout s’arrêtait. Et on prenait conscience d’une présence sous l’enfouissement…
C‘est invariablement ainsi que tous ses clients rencontraient Ramud. Invariablement aussi ils avançaient. Poussés par une force rageuse. Ils retournaient ce capharnaüm avec une ardeur de pétrisseur. Jusqu’à ce qu’ils le découvrent. Ils sortaient alors Ramud de ce qui était devenu un amas informe. Ils le transportaient jusqu’à une clairière de quelques centimètres. Le déposaient délicatement. Ramud disait alors “Merci”; puis “Bonjour”. Et puis il les oubliait, au profit d’un plat à récurer, d’un dessus de lit à raccommoder, de mille choses à faire. Il les faisait en silence. Le silence finissait par habiller toute l’échoppe.
A la fin le visiteur s’asseyait, oubliait jusqu’à lui-même, jusqu’à Ramud, jusqu’aux choses. Qui le voyait ainsi en était convaincu : il venait d’arriver chez lui.
Enfin.
JFAK
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