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Centrafrique : la communauté internationale pour y faire quoi ?

Drapeau RCA[ RECONNAISSANCE DANS L’AMERTUME – DEVOIR DE VIGILANCE – INTERROGATIONS : SUR LA COMPOSITION DE LA “COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE” INTERVENANTE, SUR SES MISSIONS, SUR LES CONDITIONS D’ACCOMPLISSEMENT DE CES MISSIONS…]

RECONNAISSANCE DANS L’AMERTUME  

La République centrafricaine est dans un état où les contributions extérieures sont nécessaires, a priori bienvenues, et méritent, a priori aussi, reconnaissance.

Reste que cet assentiment à l’aide extérieure pour arrêter une spirale de dissolution nationale, ainsi que le soutien que l’on peut apporter à la contribution extérieure pour la reconstruction de l’autorité étatique, du lien national et du tissu social, ne va pas sans une certaine amertume. Parce que les moyens importants, notamment financiers, que l’on s’apprête à mobiliser aujourd’hui en Centrafrique ont fait cruellement défaut lorsqu’il s’agissait de construire un Etat indépendant et de promouvoir son développement économique par temps de paix. Parce que les représentants des mêmes Etats qui, aujourd’hui, appellent de leurs voeux l’avènement de gouvernants centrafricains probes et attachés aux intérêts de leur peuple auraient pu penser hier à ne pas créer et entretenir une classe politique serve et ne méritant pas d’autre considération que celle due au garde-chiourme payé à veiller pour le maître à la sauvegarde de “sa” terre et de “ses” ressources. Parce qu’aussi les représentants des Etats-pilotes de la communauté internationale dans ce dossier tentent de faire croire à la fable du “changement de circonstances” (voir le rapport du Secrétaire général des Nations Unies, téléchargeable ci-dessous), pour justifier leur brusque décision d’implication,  alors que nous savons qu’ils ne pouvaient pas ne pas savoir.

Mais sortons du sentiment de l’amertume, qui ne peut être que funeste.

DEVOIR DE VIGILANCE 

L’essentiel est aujourd’hui de prendre acte de la volonté d’implication dont il a été question tout à l’heure, mais de dire dans le même temps qu’il faut la considérer avec reconnaissance et vigilance, une vigilance d’autant plus intraitable que l’enjeu n’est pas seulement de ramener en Centrafrique la paix, la sécurité et la prospérité économique, bref de faire de la Centrafrique un pays où, à nouveau, il fait bon vivre. Il est aussi de construire un Etat maîtrisant, ou à tout le moins décidant de son destin, y compris dans les relations internationales, ce qui suppose l’installation de rapports d’un genre nouveau, d’un genre normal, entre cet Etat, alors devenu enfin souverain, et les autres ; des rapports qui permette qu’il occupe la place qui lui revient dans le concert des Nations.

Pour l’heure, la vigilance suppose surtout d’être lucide et sans complaisance sur ce que recouvre la notion de “communauté internationale” dans le cas actuel de la Centrafrique, mais aussi sur la définition des missions des forces internationales qui agissent ou ont vocation à agir sur son territoire, ainsi que sur les conditions de mise en oeuvre de ces missions.

QUELLE COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE ?

Disons le d’emblée et tout net : comme sur les autres questions internationales, la “Communauté internationale” est un voile pudique que l’on appose sur la réalité d’une complexité d’acteurs aux intérêts non nécessairement convergents. Passons les principaux en revue.

La France : encore, pourvu qu’elle soit différente. La France en Centrafrique aujourd’hui, c’est d’abord l’opération militaire “Sangaris”, forte désormais de 2000 hommes et dont la prolongation vient d’être décidée par le Parlement français. L’objectif est formulé ainsi par le Président François Hollande dans ses discours du 5 déc. 2013 et du 28 février 2014 : “La France n’a pas d’autre objectif que de sauver des vies humaines” ; “La France est attendue pour éviter une catastrophe humanitaire” ; l’objectif : “protéger les civils dans un pays qui est déchiré par des violences, souvent interreligieuses; restaurer l’ordre public et permettre une transition vers la démocratie”. La question ne peut alors être éludée : faut-il prêter crédit à ces déclarations, en ce que ceux qui les tiennent prétendent ne plus vouloir traiter la Centrafrique en pré-carré colonial ? On est nécessairement partagé. Les leçons du passé inviteraient à se défier, quand l’urgence de stabilisation et de reconstruction commandent le contraire. Penchons donc dans ce dernier sens et prenons au mot les autorités de cet Etat.

Le Tchad : pernicieusement, et toujours à visage couvert. Le Tchad visé ici n’est pas le peuple tchadien, ni d’ailleurs et dans une mesure normale, l’Etat tchadien en toutes ses composantes. La stratégie tchadienne en Centrafrique est celle d’un homme, l’homme qui assure la Présidence de cet Etat voisin, Idriss Deby qui, tout à la fois pour desserrer l’étau intérieur de la contestation armée et pour assouvir une volonté de contrôle de son voisin ainsi que des ressources de ce dernier, a jeté son dévolu sur la Centrafrique. Jamais directement, mais ostensiblement. La première manifestation “visible” fut la fourniture et le financement de “rebelles” armés pour la prise du pouvoir de le Général Bozizé. La seconde fut d’armer des contingents de mercenaires, principalement tchadiens et soudanais, pour enlever le pouvoir au protégé d’hier parce qu’il avait fini par oublier de qui il était le protégé. C’est l’histoire de la Seleka, de la prise du pouvoir par Djotodjia, et des malheurs qui l’ont accompagnés. La dernière manoeuvre tchadienne en date est, à la faveur du soutien militaire apporté à la France sur le théâtre malien, la fourniture de contingents pour épauler les troupes françaises de l’opération Sangaris, sous le couvert de la MISCA (Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique sous conduite Africaine), mission dans le cadre de laquelle le Tchad continue à jouer un jeu pour le moins ambigu.

Les organisations africaines : à la recherche du diapason. Elles sont deux organisations intéressées aux questions qui touchent actuellement à la Centrafrique : l’organisation continentale d’abord, l’Union africaine (UA), et l’organisation sous régionale, la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale). Aux côtés des forces de l’opération Sangaris, l’Union africaine est aussi à la manoeuvre avec la sus-nommée MISCA, forte d’environ 6000 hommes aujourd’hui en provenance du Burundi, du Cameroun, du Gabon et du Tchad. Bien que cette mission soit initiée par l’UA, elle est l’objet d’une sourde rivalité de leadership entre l’organisation africaine et l’organisation sous-régionale CEMAC, et ceci pour au moins deux raisons. La première est que la MISCA est venue supplanter, au grand dam des chefs d’Etats de la sous-région, une mission de la CEMAC, conduite par la Force Multinationale des États d’Afrique Centrale (FOMAC) et ayant pour finalité la consolidation de la paix en Centrafrique. La seconde est que depuis près d’une décennie, certains chefs d’Etat de la sous-région, le Président tchadien en premier, soutiennent le processus d’un élargissement au militaire des missions de l’organisation exclusivement économique qu’était initialement le CEMAC, avec pour objectif évident d’en faire l’instrument de leur influence dans la zone. Donc : force multinationale africaine, pourquoi pas ? Pourvu que sa configuration soit aussi conforme à ces derniers desseins : voilà ce que souhaitent les “hommes forts” d’Afrique centrale. On notera que la lutte pour le pouvoir qui couve ainsi oppose des prétentions militaires qui n’ont pas les moyens de leurs actions, celles-ci étant, pour l’essentiel, financées par le France et par l’Union européenne…

L’Union européenne : désintérêt et incapacité relatifs. De l’Union européenne, on ne perçoit guère, d’une crise à l’autre, une volonté forte d’implication. En tout état de cause, cette intervention ne saurait être militaire venant de l’UE, celle-ci de disposant pas d’une politique intégrée de défense lui permettant de constituer une force propre de projection extérieure. Les décisions en la matière sont donc en dernier ressort prises par les Etats membres de manière quelque peu dispersée, et d’ailleurs fort peu volontariste si l’on excepte la France. Au total, l’Union apparaît surtout, dans ce contexte, comme un bailleur de fonds, principalement pour le financement de l’aide humanitaire et celui, plus réduit, des opérations militaires. De cette dispersion des centres de décision, des intérêts, mais aussi du fait que traditionnellement les autres Etats membres sont peu enclins à voir l’UE assumer ce qui est à leurs yeux des fardeaux coloniaux français et britannique, un engagement fort de cette organisation sur le terrain est pour l’heure difficile à imaginer, de même qu’il est difficilement concevable que l’UE soit porteuse d’une doctrine unique et homogène touchant à la question centrafricaine, comme à d’autres questions de ce type d’ailleurs sur le continent. Bref, l’Afrique n’est pas le Kosovo.

L’ONU : des intentions à clarifier. Reste l’ONU. Mais dire “l’ONU” comme s’il s’agissait d’un monolithe serait une erreur. Bien sûr, compte tenu de ce qui est envisagé, à savoir une opération de maintien de la paix, l’organe compétent de l’organisation est aisément identifiable : il s’agit du Conseil de sécurité dont c’est la compétence, en vertu de l’article 39 de la Charte des Nations Unies, de constater l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression et, compte tenu des circonstances, de faire des recommandations ou de décider des mesures à prendre pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. Le Secrétaire général de l’Organisation ne doit assurément pas être oublié dans ce dispositif, mais il ne peut être que force de proposition et rouage d’exécution des décisions prises. Or, il faut bien voir que l’action du Conseil de sécurité dépend de ses membres, et de l’unanimité qu’ils parviennent à former autour des analyses et des décisions. Cela ne donne guère une capacité de réaction rapide. Et il est un fait que l’ONU a souvent manqué le timing en Centrafrique (cf. par exemple l’opération MINURCA – Mission des Nations Unies en RCA – et les conditions de son arrêt en 2002). Aujourd’hui, la volonté et le consensus politiques qui avaient manqué pour la poursuite de cette dernière mission semble exister. Il faut en tirer partie. D’abord pour mobiliser internationalement. Ensuite pour garantir la neutralité relative de l’intervention des différentes forces dont il a été question plus haut. Enfin, pour mettre à disposition de l’Etat centrafricain une capacité d’expertise sur les opérations complexes – notamment de reconstruction de l’Etat – acquise sur d’autres théâtres d’opérations, dont l’Afghanistan.

Les forces sur le terrain ont besoin d’être ordonnées. Mais leurs missions gagneraient aussi à être conçues à la hauteur du défi, qui est grand et complexe.

QUELLES MISSIONS ?

Disons, pour être simple, que la mission est à l’image de la prescription médicale. Elle ne peut être pertinente que si elle a été précédée d’une évaluation lucide de la situation, que si l’on a pris l’exacte mesure du mal, exacte mesure à laquelle il faut par ailleurs adapter le traitement, les missions en ce qui nous concerne. Il faut donc commencer par dire un mot du diagnostic.

  • Le diagnostic

Ce que nous appellerons le “problème centrafricain” est largement identifié, et cela depuis fort longtemps. Pour en connaître l’ampleur il suffit de lire le rapport du Secrétaire général des Nations Unies au Conseil de sécurité, tout pétri de “langue de bois” diplomatique qu’il soit. Il mériterait d’être lu en entier, mais l’extrait suivant (paragraphe 25 du rapport) suffira à ceux qui n’en ont pas le loisir :

“La crise qui sévit en République centrafricaine est extrêmement complexe. Le pays a connu trois conflits internes en 10 ans et son troisième gouvernement de transition en un an. La situation actuelle fait suite à un cycle de crises politiques et sécuritaires qui a duré pendant plusieurs décennies. Elle trouve son origine dans les faiblesses socioéconomiques, politiques et structurelles persistantes et dans la médiocre gouvernance, la cohésion sociale fragile, et un sentiment profond de marginalisation chez certains groupes, en particulier la population vivant dans le nord du pays, qui estime faire l’objet de discrimination par le Gouvernement central. Cette situation est exacerbée par la corruption, le népotisme, les abus de pouvoir, les conflits internes, l’ingérence extérieure et la détérioration des capacités de l’armée nationale. Ces circonstances, se conjuguant à des institutions de l’État extrêmement fragiles, ont laissé les gouvernements centraux successifs vulnérables. L’État est débordé et n’a pour ainsi dire pas les moyens de gérer le large éventail des menaces auxquelles il est confronté, et il devra être reconstruit à partir de ses fondations. Il n’y a pas d’armée nationale et les éléments restants dans la police et la gendarmerie manquent des moyens et du matériel indispensables pour exercer leurs fonctions, tandis que l’administration publique est largement absente dans de nombreux endroits, la communauté internationale devant se substituer à l’État pour dispenser des services de base lorsque cela est possible”.

  • Les missions à proprement parler : sécuriser le territoire et préparer des élections démocratiques, mais pas seulement.

La sécurisation du territoire est assurément la mission prioritaire. Elle est d’évidence, aussi n’y insistera-t-on pas. Qu’il soit permis cependant de dire qu’elle sera de longue haleine s’agissant d’un territoire de 623.000 km2, soit plus que le territoire de la France par exemple, pour 5 millions d’habitants seulement, ce qui représente potentiellement un nombre infini de lieux de repli pour les multiples forces de déstabilisation ; rappeler aussi que la réussite de cette mission est indispensable autant pour sauvegarder les vies humaines, pour permettre un retour de l’activité économique, que pour assurer le recouvrement par la Centrafrique de sa souveraineté.

A la sécurisation, la “communauté internationale”, au bénéfice de ce qui a été dit précédemment sur sa consistance, a ajouté la création des conditions nécessaires à l’organisation d’élections libres et démocratiques. Voilà une mission plus ambitieuse encore. Elle l’est, bien sûr, avant tout parce qu’elle suppose un changement de conceptions et de moeurs politiques dans un pays où tous les maux politiques ont régné pendant plus de 50 ans, et où toute opposition politique, aussi bien actuelle que potentielle a été proprement décimée, entendez par là que ses membres ou ceux qui auraient pu le devenir ont été tout simplement assassinés. Mais elle l’est aussi, tout autant, en raison de l’état de délabrement et de désorganisation du pays : il n’existe plus d’administration, notamment territoriale ; nombre de centres d’état civil ont été pillés et les registres d’état civil détruits, beaucoup d’électeurs ne sont plus recensables, étant déplacés et se terrant dans le contexte de violence que l’on sait.

Mais ce que l’on voudrait surtout souligner est que ces deux missions ne suffisent pas, ne suffisent plus. La paix et la démocratie qui sont les enjeux qui se profilent à leur filigrane exigent une restauration plus globale : celle des institutions politiques, celle des institutions administratives, celle aussi des institutions économiques et sociales.

C’est donc d’un plan global que la Centrafrique a besoin aujourd’hui. Et il importerait que ceux qui sont conçus, dans le pays même ou à l’extérieur, notamment dans le cadre des Nations Unies, le soient.

QUELLES CONDITIONS DE MISE EN OEUVRE DES MISSIONS ?

Les conditions dans lesquelles ces missions seront mises en oeuvre sont loin d’être indifférentes. Pour aller à l’essentiel, il nous paraît souhaitable qu’elles respectent les principes suivants, qui impliquent une nette et effective rupture d’avec le passé :

  • Restauration par le peuple. Il est de première importance d’impliquer la population dans la réalisation des objectifs déjà évoqués. C’est la condition d’une restauration durable. Mais ce serait aussi l’amorce d’une nouvelle pratique politique dont on peut penser qu’elle contribuerait grandement à la stabilisation du pays. Ce message, cela doit être précisé, est adressé aussi bien aux acteurs extérieurs qu’aux autorités centrafricaines elles-mêmes, tant il est vrai que par la passé la seule qualité de national en mesure d’aider son pays suffisait à installer dans l’exacerbation la défiance des autorités, voire plus.
  • Restauration avec les autorités politiques du pays. Il faut que soit révolu le temps des marionnettes pilotés de l’extérieur, celui aussi où le chef d’une opération militaire extérieure était plus puissant que le chef de l’Etat. Agir en ce sens serait restaurer une autorité de l’Etat que la servilité des récents chefs d’Etats successifs a sérieusement ébranlée, car il ne faut pas s’y tromper : le “petit” peuple sais repérer avec sûreté les pouvoirs en coquille vide ou de simple apparat, autant que les pouvoirs ineptes. Il s’en défie, se construit un monde à part où il rit de ces monstres de pacotilles, ce qui finit par faire une société sans Etat. Et d’une société sans Etat à un territoire à la société désarticulée il n’y a qu’un pas dont on peut constater, avec l’exemple centrafricain, combien il peut être facile à franchir.
  • Restauration dans le respect de la souveraineté du pays. A cela on rétorquera sans doute, à raison d’ailleurs, que la souveraineté de la Centrafrique n’existe pas, et que si elle existe un jour, c’est que les forces extérieures l’auront apportée. Mais là réside précisément le défi d’aujourd’hui et de demain : intervenir pour aider, intervenir sans vouloir s’implanter, intervenir sans vouloir capter le pouvoir sur le long terme pour mieux capter les ressources, que l’on sait immenses dans le sous-sol centrafricain (uranium, diamants, or, pétrole, etc.).

Ces trois principes ne sont pas absents des discours qui nous sont servis depuis décembre 2013.

Mais on voudrait plus : qu’il soit permis de prendre ceux qui les prononcent au mot et, surtout, de constater demain qu’on ne s’est pas trompé.

DOCUMENTS 

JFAK

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