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Centrafrique. L’accord de Brazzaville, ou l’accord aux trois désarmements [Acte I : Désarmement des milices en trompe-l’œil ?]

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Il a été affirmé de toute part que le désarmement des bandes et milices est au centre de l’Accord de Brazzaville.

Quiconque a à cœur la paix et les valeurs de vie en Centrafrique ne peut que s’en réjouir, et souhaiter que cet objectif s’inscrive au plus vite dans la réalité des centrafricaines et centrafricains.

Mais quiconque regarde lucidement ce texte doit bien constater que le désarmement n’est pas l’objet direct de l’accord de Brazzaville.

En effet, les rédacteurs de ce texte y procèdent à une subtile distinction-dissociation qui peut s’avérer de grande conséquence, entre la « cessation des hostilités », d’une part, et le désarmement, entendu comme dépôt des armes et leur remise aux autorités constitutionnelles de l’Etat, d’autre part.

La cessation des hostilités, entendons par là la fin des violences, est envisagée comme devant être immédiate. C’est ce qui ressort en particulier de l’article 2 qui prescrit « l’arrêt immédiat » des hostilités et de tous les actes qui y participent directement ou indirectement, sous la forme d’une entrave à l’exercice de l’autorité de l’Etat sur des portions de son territoire.

Cet objectif s’inscrit à ce point dans un temps instantané qu’il est donné aux commandements militaires des différentes milices seulement 24h pour ordonner la fin des violences et faire exécuter cet ordre par toutes les chaînes de commandement. A l’observateur extérieur, ce but de cessation immédiat des « hostilités » pouvait sembler d’autant plus sérieux qu’il constituait un engagement des forces armées engagées sur le terrain (voir, ultérieurement, le billet [Acte 3], à propos des parties à l’accord). La réalité est toute autre, on le sait.

Et le désarmement ? Alors qu’on pouvait le penser nécessairement concomitant à la cessation des hostilités, voire préalable à celle-ci, il se trouve inscrit dans un autre temps, plus long en même temps que plus aléatoire puisque sa réalisation est clairement conditionnée. Il y a là plus qu’un paradoxe, une mauvaise augure : des personnes cessent immédiatement d’être combattantes – l’accord les désigne d’ailleurs expressément et à plusieurs reprises comme « ex-combattants » – mais restent détenteurs de leurs armes, militairement organisées et susceptibles de le rester.

Le cantonnement de ces ex-combattants, envisagé par l’article 4 de l’accord est en effet repoussé à plus tard, doit être mis en œuvre dans « un délai raisonnable », est-il précisé dans ledit article. Ce cantonnement est par ailleurs subordonné à la réalisation de certaines conditions, dont en particulier des conditions financières qui restent indéfinies (« sous réserve de mobilisation des ressources nécessaires sur les sites à convenir d’un commun accord avec le Gouvernement de la Transition et la Communauté Internationale », art. 4).

On notera d’ailleurs qu’il ne ressort nullement des accords que le cantonnement supposerait un désarmement préalable des personnes cantonnées. Est-ce un oubli ? Ou la manifestation de la volonté des groupes militaires de conserver leurs armes dans les lieux de cantonnement ? Si tel est le cas, pourquoi une telle volonté ? Comment ne pas y voir le signe d’une duplicité des organisations politico-militaires qui, d’un côté reconnaissent avoir commis l’inacceptable et, de l’autre, entendent conserver les moyens de se livrer aux mêmes atrocités demain ? Ces actions, toutes criminelles selon le droit international, se nomment – et sont nommées par l’accord (voir les articles 2 et 3 de celui-ci) – exécutions sommaires, torture, harcèlement, incendies volontaires de villages, des biens publics et privés, destructions des édifices religieux, pillage, détention et l’exécution arbitraires des civils et militaires, recrutement et utilisation d’enfants soldats, violence sexuelle, armement des civils, recours massif à des mercenaires étrangers, etc.

L’absence de volonté d’un désarmement effectif et immédiat est attestée enfin par l’absence, dans l’accord, d’un dispositif de mise en œuvre digne de ce nom, comportant notamment un calendrier dudit désarmement, l’indication des autorités chargées de sa mise en œuvre et des pouvoirs, notamment de contrainte et de sanction, dont elles disposent, l’indication des sanctions encourues par ceux qui refuseraient de déposer les armes, etc…

Mais avec cette dernière question, on entre dans le champ du second désarmement entrepris à Brazzaville : celui du droit.

C’est là l’objet du billet suivant…

LA SUITE :

L’accord de Brazzaville, ou l’accord aux trois désarmements [Acte II : Le désarmement du droit en perspective].

L’accord de Brazzaville, ou l’accord aux trois désarmements [Acte III : Le désarmement de l’Etat en filigrane].

Pour lire le texte de l’accord, cliquer ici.

Jean-François Akandji-Kombé

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