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Afrique-Monde. La Charte de Kurukan Fuga de 1236, mémoire et avenir de l’Etat de droit africain

L'ESSENTIEL : La Charte de Kurugan Fuga contient déjà, en 12362, des prescriptions qui relèvent de la problématique moderne des droits de l'homme ou des droits humains. Elle figure ainsi parmi les premiers édits de ce type tous continents confondus, contemporaine à la Magna Carta - Grande Charte anglaise de 1215, considèrée comme matrice de l'idée de droits de l'homme, et bien avant la Déclaration française des droits de l'homme et du citoyen, la Bill of Rights, Déclaration américaine des droits. Surtout, il s'agit d'un texte de portée plus globale, hautement politique, qui énonce les règles de vie en société, les principes du gouvernement des hommes, ainsi que ceux d'un rapport harmonieux avec l'environnement. Bref, d'un texte qui préfigure l'idée de l'Etat de droit...

La Charte de Kurukan Fuga, le podcast

Aux fondements africains du droit

Je remercie l’ami très cher, le Docteur Ibrahima Dia, qui a mis entre mes mains un document aussi considérable que la Charte de Kurukan Fuga, dite aussi Charte du Mandé.

Qu’est-ce que cette Charte ?

Cette Charte est au fondement de l’Empire du Mali, édictée par Soundjata en 1236 après l’éclatante victoire de Kirina, prélude de la conquête de l’Empire.

Elle ne fut pas écrite mais, comme cela convient à une société de tradition orale, transmise de génération en génération par les Griots Mandingues.

On doit sa reconstitution écrite, réalisée en 1998, à une heureuse initiative conjointe du Centre d’études linguistiques historiques et de tradition orale (CELTHO) de Niamey (Guinée) et d’une ONG suisse (Inter-Média Consultants). Cela fut fait à l’occasion d’un séminaire régional sur la collecte et la conservation de la tradition orale qui se tenait dans la localité de Kankan (Guinée), et à la faveur d’une veillée où les Griots “Djeli” de l’espace Mandingue réunis entreprirent de chanter la gloire de Soundjata administrateur et législateur, rappelant alors à la mémoire les “lois” établies lors de l’Assemblée constitutive de l’Empire du Mandé qui se tint aux lendemains de la bataille de Kirina, sur le plateau de Kurukan Fuga. Ce sont ces déclamations qui furent transcrites et livrées au public au terme de vérifications rigoureuses.

Qu’est ce donc que la Charte de Kurukan Fuga ?

Nombre de ceux qui s’y intéressent le tiennent pour une Charte des droits de l’homme, et donc un des premiers textes connus de cette nature de par le monde. Et ils n’ont pas tort. La Charte de Kurugan Fuga contient bien un certain nombre de prescriptions qui relèvent de cette problématique moderne des droits de l’homme ou des droits humains. Et, il est un fait aussi qu’elle figure parmi les premiers édits de ce type tous continents confondus. Songez que la Magna Carta – Grande Charte anglaise – que l’on considère comme matrice de l’idée de droits de l’homme, est édictée en 1215, et qu’il faudra attendre 1789 pour que soit écrite, et la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen, et la Bill of Rights, Déclaration américaine des droits !

Ces auteurs-observateurs n’ont donc pas tort sur ce point. Mais ils ne rendent pas non plus totale justice à la Charte de Kurukan Fuga. Car c’est un texte d’ambition plus globale. Ainsi que l’a souligné le Professeur Djibril Tamsir Niane dans sa leçon inaugurale à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal) en 2009 (texte inédit que j’espère, avec l’accord de l’auteur, publier prochainement sur ce blog ; voir aussi l’interview de l’auteur), ce document “exprime avec force la volonté de statuer sur le devenir de la société avec le souci de fonder des règles de vie commune et surtout d’établir entre les membres d’une même famille et entre les clans entente et convivialité”. “C’est, poursuit-il, la recherche de la paix, la recherche d’une paix durable qui a préoccupé les délégués de Kurukan Fuga”. Il s’agit donc d’un texte hautement politique, au sens fort et noble de ce terme, qui énonce les règles de vie en société, les principes du gouvernement des hommes, ainsi que ceux d’un rapport harmonieux avec l’environnement. Un texte qui, pour tout dire, préfigure, et de belle manière, l’idée de l’Etat de droit.

Lue à la lumière des temps présents, cette Charte ouvre des perspectives incommensurables pour penser le politique, l’économique et le social aujourd’hui dans les sociétés africaines.

Des perspectives aussi pour réfléchir  :

  • au rapport entre oralité et droit ;
  • au rôle du droit dans les sociétés africaines ;
  • aux fondements de la relation politique (entre gouvernants et gouvernés), et aux principes de la légitimité politique ;
  • aux rapports de l’humanité avec les choses et avec l’environnement.

Nous espérons pouvoir le faire prochainement avec le concours de toutes les personnes intéressées, académiques ou non, lesquelles sont invitées à me faire part de leur intérêt pour ce projet à l’adresse suivante : jfakibol@gmail.com.

On aimerait aussi que la profondeur de vision qui anime la Charte de Kurukan Fuga inspire plus de dirigeants de ce monde, ou prétendus tels, spécialement en Afrique.

Mais en attendant tout cela, je vous invite à prendre directement connaissance de la teneur de la Charte de Kurukan Fuga :

Bonne lecture !

Le texte de la Charte

9782911372483_1Les représentants du Mandé traditionnel et leurs alliés, réunis en 1236 à Kurukan Fuga actuel cercle de Kangaba (République du Mali) après l’historique bataille de Kirina ont adopté la charte suivante pour régir la vie du grand ensemble mandingue.

I. DE L’ORGANISATION SOCIALE

Article 1er : La société du grand mandé est divisée ainsi qu’il suit :

  • Seize (16) « Ton ta djon » ou porteurs de carquois ;
  • Quatre (4) Mansa si » ou tribus princières ;
  • Cinq « Mori Kanda » ou classes de marabouts ;
  • Quatre (4) « Nyamakala » ou classes de métiers ;

Chacun de ces groupes a un rôle et une activité spécifiques.

Article 2 : les « Nyamakala » se doivent de dire la vérité aux Chefs, d’être leurs conseillers et de défendre par le verbe, les règles établies et l’ordre sur l’ensemble de l’Empire.

Article 3 : les « MoriKanda » sont nos maîtres et nos éducateurs en islam. Tout le monde leur doit respect et considération.

Article 4 : la société est divisée en classes d’âge. A la tête de chacune d’elles est élu un chef. Sont de la même classe d’âge les personnes (hommes ou femmes) nées au cours d’une période de trois années consécutives. Les « Kangbé » (classe intermédiaire entre les jeunes et les vieux) doivent participer à la prise des grandes décisions concernant la société.

Article 5 : chacun a le droit à la vie et à la préservation de son intégrité physique. En conséquence, tout acte attentatoire à la vie d’autrui est puni de mort

Article 6 : pour gagner la bataille de la prospérité, il est institué la « Könögbèn Wölö » (un monde de surveillance pour lutter contre la paresse et l’oisiveté).

Article 7 : il est institué entre les « Mandenkas le Sanankunya » (cousinage à plaisanterie) et le « Tanamanyöya » (forme de totémisme). En conséquence, aucun différend né entre ces groupes ne doit dégénérer, le respect de l’autre étant la règle. Entre beaux-frères et belles-sœurs, entre grands-parents et petits- enfants, la tolérance et le chahut doivent être le principe.

Article 8 : la famille KEITA est désignée famille régnante sur l’Empire.

Article 9 : l’éducation des enfants incombe à l’ensemble de la société. La puissance paternelle appartient par conséquent à tous.

Article 10 : adressons-nous mutuellement les condoléances.

Article 11 : quand votre femme ou enfant fuit, ne le poursuivez pas chez le voisin.

Article 12 : la succession étant patrilinéaire, ne donnez jamais le pouvoir à un fils tant qu’un seul de ses pères vit. Ne donnez jamais le pouvoir à un mineur parce qu’il possède des biens.

Article 13 : n’offensez jamais les « Nyaras » (paroliers attitrés).

Article 14 : n’offensez jamais les femmes nos mères.

Article 15: ne portez jamais la main sur une femme mariée avant d’avoir fait intervenir sans succès son mari.

Article 16 : en plus de leurs occupations quotidiennes, les femmes doivent être associées à tous nos Gouvernements.

Article 17 : les mensonges qui ont vécu et résisté 40 ans doivent être considérés comme des vérités.

Article 18 : respectons le droit d’aînesse.

Article 19 : tout homme a deux beaux-parents : les parents de la fille que l’on n’a pas eue en mariage et la parole qu’on a prononcée sans contrainte. On leur doit respect et considération.

Article 20 : ne maltraitez pas les esclaves, accordez-leur un jour de repos par semaine et faites en sorte qu’ils cessent le travail à des heures raisonnables. On est maître de l’esclave mais pas du sac qu’il porte.

Article 21 : ne poursuivez pas de vos assiduités les épouses : du chef, du voisin, du marabout, du féticheur, de l’ami et de l’associé.

Article 22 : la vanité est le signe de la faiblesse et l’humilité le signe de la grandeur.

Article 23 : ne vous trahissez jamais entre vous. Respectez la parole d’honneur.

Article 24 : ne faites jamais du tord aux étrangers.

Article 25 : le chargé de mission ne risque rien au Mandén.

Article 26 : le taureau confié ne doit pas diriger le parc.

Article 27 : la jeune fille peut être donnée en mariage dès qu’elle est pubère sans détermination d’âge. Le choix de ses parents doit être suivi quel que soit le nombre des candidats. Le jeune garçon peut se marier à partir de 20 ans.

Article 28 : la dot est fixée à 3 bovins : un pour la fille, deux pour ses père et mère.

Article 29 : le divorce est toléré pour l’une des causes ci-après :

  • l’impuissance du mari ;
  • la folie de l’un des conjoints ;
  • l’incapacité du mari à assumer les obligations nées du mariage.

Le divorce doit être prononcé hors du village.

Article 30 : venons en aide à ceux qui en ont besoin.

Article 31 : respectons la parenté, le mariage et le voisinage.

Article 32 : tuez votre ennemi, ne l’humiliez pas.

Article 33 : dans les grandes assemblées, contentez-vous de vos légitimes représentants et tolérez-vous les uns les autres.

II. DES BIENS

Article 34 : il y a cinq façons d’acquérir la propriété : l’achat, la donation, l’échange, le travail et la succession. Toute autre forme sans témoignage probant est équivoque.

Article 35 : tout objet trouvé sans propriété connu ne devient propriété commune qu’au bout de quatre ans.

Article 36 : la quatrième mise bas d’une génisse confiée est la propriété du gardien.

Article 37 : un bovin doit être échangé contre quatre moutons ou quatre chèvres.

Article 38 : un œuf sur quatre est la propriété du gardien de la poule pondeuse.

Article 39 : assouvir sa faim n’est pas du vol si on n’emporte rien dans son sac ou sa poche.

III. DE LA PRESERVATION DE LA NATURE

Article 40 : la brousse est notre bien le plus précieux, chacun se doit de la protéger et de la préserver pour le bonheur de tous.

Article 41 : avant de mettre le feu à la brousse, ne regardez pas à terre, levez la tête en direction de la cime des arbres.

Article 42 : les animaux domestiques doivent être attachés au moment des cultures et libérés après les récoltes. Le chien, le chat, le canard, et la volaille ne sont pas soumis à cette mesure.

IV. DISPOSITIONS FINALES

ARTICLE 43 : Balla Fassèkè KOUYATE est désigné grand chef des cérémonies et médiateur principal du mandéen. Il est autorisé à plaisanter avec toutes les tribus, en priorité avec la famille royale.

Article 44 : tous ceux qui enfreindront ces règles seront punis. Chacun est chargé de veiller à leur application sur l’ensemble du territoire impérial.

Transcrit par : Monsieur Siriman KOUYATE
Conseiller à la Cour d’Appel de Kankan

18 comments on Afrique-Monde. La Charte de Kurukan Fuga de 1236, mémoire et avenir de l’Etat de droit africain

  1. GBALOMBE Dieu-Grand dit :

    je pense que l’Afrique doit valoriser et utiliser ce qui lui appartient et qui vient de lui

  2. Hana siby dit :

    Merci beaucoup pour ce précieux charte kurukanfuga. pour moi avant que l’on suive la charte qui ressemble du début jusqu’à la fin de ceux de la France pour quoi ne suivons nous pas cette charte qui enveloppe tout les droits de l’homme et qui nous a était offert par notre empereur du Mandin.

  3. Ouattara dit :

    Cette charte exprime l’identité africaine et démontre a quel point l’Afrique avait son destin en main que l’Union africaine se repose sur ce manuscrit pour réfléchir ses loi

  4. La charte de KOUROUKAN FOUGA est le fondement des droits de l’homme et des libertés publiques. Élaborée depuis le 13ème siècle plus précisément en 1236. Cependant on se réfère malheureusement aujourd’hui à la déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la charte américaine des droits de l’homme. Quand est ce que l’Afrique va reconnaître ses valeurs et les mettre en évidence sinon s’en servir.

  5. Traoré dit :

    Pourquoi ne pas se détourner à la démocratie occidentale et faire appliquer notre si formidable démocratie. La démocratie africaine constituée par le roi des roi, le roi SOUNDIATA KEITA. Je tiens ici à féliciter mon père, mon professeur, mon confère Guinéen Le Prof Djibril Tamsir Niane qui nous transmis cette belle et réelle charte de KURUKAN FUGA. Vraiment une fois encore merci.

  6. Koné Arouna dit :

    pourquoi nous africains avons ignorés une si riche démocrtie.cette charte était la base du développement de l’Afrique.

  7. camara dit :

    La charte de kouroukan fouga est un referent pour le peuple democratique

  8. c’est un grand patrimoine pour l’Afrique félicitation a l’empire du mali

  9. A reblogué ceci sur De eso no se hablaet a ajouté:
    Escrito por mi apreciado Tutor, este Post nos ilustra sobre la Carta de Kurukan, antiguo documento oral de los pueblos del Africa donde también se habló de paz y derechos humanos. Sin pérdidas!

  10. M. DIA Ibrahima dit :

    En partageant l’introduction de mon ami et honorable professeur, intitulée “La Charte de KURUKAN FUGA de 1236, mémoire et avenir de l’Etat de droit africain”, j’avais l’esprit braqué en direction du professeur Djibril Tamsir Niane. L’éminent professeur historien, a toujours conseillé à la jeunesse africaine de faire ample connaissance avec ce que l’on peut, à juste titre, qualifier de l’une des plus importante découverte, à la suite du débat l’historique sur l’origine de l’humanité. Ainsi, après lecture de l’introduction du professeur J.-F. A. K, et la déclinaison des projets futurs consacrés à ladite Charte, je souhaiterais dire à l’éminent auteur de “SUNJATA ou l’épopée Mandingue”, que son vœu est désormais satisfait. Sous votre œil bienveillant,votre sagesse intarissable, et fidèle à votre panafricanisme conscient des avantages et nombreux fléaux dont souffre l’Afrique, que nous comptons relever le défit de l’histoire. Ces nombreux défis qui nous interpellent et reposent sur nos épaules, tel un sacerdoce. En France et en Europe, c’est le prodige de Bangui, qui donne le tempo, avec lui et dans le cadre d’une synergie multiculturelle, l’Afrique sera fier de nous. Merci cher professeur pour votre dense et pertinente introduction qui a le mérite d’aiguiser notre appétit d’ogre. “Le chemin n’est pas difficile, c’est plutôt le difficile qui est le chemin”.

    1. jfakiblog dit :

      Merci cher Ibrahima, d’abord pour le texte de la Charte, ensuite pour ce commentaire (bien trop élogieux tout de même mais qui fait plaisir au(x) banguissois), et enfin ravi de savoir que tu seras des nôtres pour la suite panafricaine de l’aventure…

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