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Centrafrique. Les tentations fédéralistes (1) [des mots et des formes, du mal et des remèdes]

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Se méfier des formes (et des mots)

Aucune forme politique ou juridique ne porte en elle-même et à elle seule, a priori, bonheur ou malheur pour les individus ou les peuples.

S’agissant de la forme politique, les centrafricains, comme beaucoup de leurs peuples frères sur le continent africain, sont bien placés pour savoir que la seule incantation du mot « démocratie » ne suffit guère ; que même les élections, que l’on se plaît à qualifier de « libres », ne suffisent pas à transformer las mœurs politiques et le quotidien des citoyens ; pas davantage que les nombreuses Constitutions formelles qui exaltent ce régime politique sur le continent.

A ces vents que l’on déplace à force de hurlements décérébrants et à ces formes, il faut bien autre chose. Cet autre chose est d’abord une substance : celle qu’apporte une pratique du pouvoir ouverte, responsable et respectueuse, soutenue par la conscience de ce qu’on n’est que dépositaire temporaire d’un pouvoir qui n’appartient pas à soi en propre. Mais en plus de la substance, il faut aussi de l’énergie. Pas n’importe laquelle. Celle de citoyens agissants et vigilants, conscients à leur tour de la responsabilité qui est la leur de ne plus laisser s’installer des régimes qui ne soient pas tournés vers son bien être.

Il en va de la forme juridique comme de la forme politique. Je veux parler de la forme de l’Etat, unitaire ou fédéral, vers quelque déclinaison qu’on se tourne (Etat unitaire décentralisé, Etat déconcentré, Etat régionalisé, etc.).

En Centrafrique aujourd’hui, parmi les idées qui ont cours sur le devenir constitutionnel de l’Etat, l’idée fédérale bénéficie, chemin faisant, d’un formidable engouement. Mieux encore, elle fonctionne comme un attrape-tout. Cela pour dire que l’attractivité de cette forme d’Etat va bien au delà de ce qui s’affiche, car c’est un fait que beaucoup parmi ceux-là mêmes qui oeuvrent pour l’avènement d’un tel Etat fédéral n’en ont pas même conscience !

Ne pas se tromper de diagnostic ni de remède

Mais avant de revenir sur ce que projettent les uns et les autres, arrêtons-nous un peu sur une question, que je tiens pour essentielle : un Etat fédéral pourquoi, et pour quoi faire ?

C’est qu’en effet le choix de telle ou telle forme d’Etat ou de gouvernement n’est jamais neutre. Il est toujours guidé par le souci de résoudre une difficulté, par la conviction que l’option choisie permettra de corriger des dysfonctionnements qui ont mis en péril l’être et le devenir collectif.

Dans le cas centrafricain, quel serait ce mal dont le remède serait le fédéralisme ? De l’avis unanime, il se nomme « mal-gouvernance », et traitement discriminatoire des populations et territoires, pour ne pas dire relégation de pans entiers de la Centrafrique dans un statut de sous-citoyen et de sous-territoire. Le diagnostic ainsi fait, j’y souscris sans peine.

Voilà le mal donc. En le désignant, ce mal, on prend conscience aussi de ce que pourrait être la solution au problème. Cette solution peut s’énoncer simplement : garantir et mettre en pratique une égalité de traitement rigoureuse entre tous les centrafricains et entre toutes les portions du territoire national.

Est ce par la transformation de la forme de l’Etat que l’on peut répondre le mieux à ce défi ?

C’est, me semble-t-il la seule question qui vaille.

Je pense pour ma part que le levier adéquat serait plutôt une certaine conception du pouvoir d’Etat et une certaine pratique de celui-ci. Avoir des gouvernants qui ne soient pas soucieux d’eux-mêmes et de leur environnement immédiat, entendez leur village, leur famille, leur région. Avoir des gouvernants qui aient le sens de l’intérêt national, de l’intérêt de la nation toute entière, et le sens du servir. Changer donc de mœurs politiques, et se donner, pour y parvenir, des garanties institutionnelles et une organisation adaptées du pouvoir. Et cela sans démembrer l’Etat centrafricain actuel, sans davantage le diluer dans une entité plus grande et, enfin, sans créer en son sein des autonomies qui pourraient se muer en souveraineté, source d’implosion.

A mon avis, c’est là que se trouve la solution.

Je ne prétends pas que cette solution est facile à mettre en œuvre. Mais j’ai des raisons de craindre que ceux qui la négligent au profit d’un changement de la forme de l’Etat succombent à une fausse facilité ; qu’ils s’engagent, et engagent les centrafricains avec eux, dans une impasse ou une fuite en avant, c’est selon, en administrant un remède qui peut s’avérer pire que le mal que l’on veut combattre.

En écrivant cela, je ne méconnais pas les vertus que l’on prête habituellement au fédéralisme, et qu’on peut ramener à son aptitude à forger un Etat d’équilibre : équilibre entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux (fédérés) ; équilibre, au sein du pouvoir central, entre des organes représentatifs de l’intérêt de la collectivité nationale dans son ensemble et d’autres organes représentatifs des intérêts partiels ; bref, équilibre qui garantit la participation des groupes et territoires partiels à l’exercice du pouvoir d’Etat.

C’est, semble-t-il, ce qu’espèrent apporter à la Centrafrique les tenants du fédéralisme. C’est ce qu’ils proposent comme solution d’apaisement du pays.

Espoir bien fondé ? Propositions réalistes ? Il ne me semble pas. Au lieu d’espoir il s’agirait plutôt de mirage. Et au lieu de réalisme, plutôt de fuite en avant.

J’espère pouvoir en convaincre en passant au crible les différents projets, les différentes figures de la tentation fédéraliste.

Jean-François Akandji-Kombé

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