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[biblio.jfak] Journal Européen des Droits de l’Homme : Chronique “Travail et Protection sociale”(1) [à télécharger]

L'ESSENTIEL : La présente chronique propose une lecture intégrée des décisions des instances internationales et européennes en matière de droit du travail et de la protection sociale...

Précédé de Considérations sur la “fondamentalisation” des droits du travail et de la protection sociale

Résumé

La présente chronique propose une lecture intégrée des décisions des instances internationales et européennes en matière de droit du travail et de la protection sociale. Elle s’attache tout particulièrement à y repérer les liens entre les droits fondamentaux et les règles relevant de ces champs du droit. Y seront privilégiées, au gré de l’actualité, les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, du Comité européen des droits sociaux, de la Cour de justice de l’Union européenne, des organes des traités de protection des droits de l’homme du système des Nations Unies, et des instances de contrôle de l’Organisation internationale du travail.[1]  Ces décisions, et les observations qu’elles appellent, seront regroupées, après une introduction (I), sous trois rubriques : questions transversales (II), travail (III) et protection sociale (IV).


[1] Les décisions des organes de contrôle de la Convention américaine des droits de l’homme et de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples n’ayant pas joué un rôle significatif au cours de la période sous examen dans les matières considérées, la présente chronique n’y fera pas référence.

Abstract

The column offers an integrated discussion of the recent international and European case-law concerning labour and social security law, analyzed in its links to human rights.  It will examine in particular the contributions of the European Court of Human Rights, the European Comittee of Social Rights, the Court of Justice of the European Union, the UN human rights treaty bodies, and the supervisory mechanisms of the International Labour Organization (ILO).[1] Following the introduction (I), this case-law will be analysed in three parts, concerning respectively: transversal issues (II), labour law (III) and social security law (IV).


[1] Since the decisions of the monitoring bodies of the American Convention on Human Rights and the African Charter on Human and Peoples’ Rights have not played a significant role during the period under study in the areas considered, they shall not be referred to in this column. 

Introduction : considérations sur la fondamentalité des droits du travail et de la protection sociale

Parmi les dynamiques profondes qui traversent le droit du travail et le droit de la protection sociale contemporains, il y a assurément celle de la « fondamentalisation » de ces ramifications du droit. Il faut entendre par là qu’à une problématique traditionnelle de protection du salariés par le moyen de sources de droit aisément révocables – lois et règlements[1], conventions collectives, contrats de travail, décisions unilatérales de l’employeur – tend à se substituer une autre fondée sur l’idée que le travailleur jouit de droits attachés à sa personne, mieux, à sa condition humaine et qui procèdent de normes parmi les plus élevées des systèmes juridiques.

Au plan substantiel, d’abord, ce mouvement induit une double évolution du droit. La première consiste dans l’abstraction – pour ne pas dire l’extraction – de certains éléments de protection du droit social national[2] légiféré ou négocié par les organisations professionnelles pour les projeter, en tant que droits fondamentaux, dans des outils juridiques supérieurs dominant le droit du travail et de la sécurité sociale interne. Tel paraît être le sens profond des droits sociaux dits fondamentaux qui partagent avec le droit social plus qu’un vocabulaire. La seconde évolution consiste dans l’irruption des prérogatives générales de la personne dans le cadre et les rapports professionnels. A tel point qu’on considère désormais, sinon de manière générale en tout cas dans une large mesure, les exigences de respect de la liberté d’expression, de la liberté de conviction et de religion, du droit à la vie privée et familiale, de la dignité humaine ou encore du principe d’égalité – droit à l’égalité – comme des composantes du droit du travail et de protection sociale[3].

Mais ce mouvement de « fondamentalisation » n’affecte pas que le fond du droit. Il induit aussi une articulation nouvelle des sources de droit, spécialement des sources internationales et européennes, les inscrivant dans un rapport d’imbrication forte  qui provoque un dépassement des distinctions traditionnelles.

Ainsi n’est-il plus possible de séparer radicalement les instruments de pure législation sociale des textes protecteurs des droits fondamentaux. Les premiers ont fini par intégrer les exigences des secondes. On en a un exemple frappant avec le droit de l’Organisation internationale du travail (ci-après OIT)[4], surtout depuis la Déclaration de 1998 relative aux principes et droits fondamentaux au travail qui représente le point culminant, à ce jour, de cette évolution. De fait, des conventions dans lesquelles on avait vu jusqu’à une période récente des outils de réglementation des rapports de travail dans une perspective de concurrence internationale loyale se voient désormais affecter une fonction protectrice d’un autre ordre. Mais on trouve aussi illustration de pareille transformation dans le droit de l’Union européenne. On songe ici aux directives sociales de l’Union, instruments privilégiés de législation du travail, dans lesquelles la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après CJUE) identifie des droits fondamentaux ou voit la concrétisation de principes et droits consacrés ailleurs dans le droit de l’Union[5].

De même que la ligne de partage s’est ainsi largement estompée entre ce qui est censé relever de la réglementation, lato sensu, et ce qui serait de l’ordre de la « fondamentalité », il n’est pas davantage possible aujourd’hui de tracer une frontière hermétique, au sein du droit international et européen des droits de l’homme, entre les textes relatifs aux droits civils et politiques et ceux dédiés aux droits économiques, sociaux et culturels. Suivant le postulat selon lequel « nulle cloison étanche ne sépare [la sphère des droits économiques et sociaux] du domaine de la Convention »[6], la jurisprudence de la CEDH opère des incursions toujours plus profondes dans les domaines ici considérés[7], tandis que, réciproquement, le Comité européen des droits sociaux n’hésite plus à inscrire des droits civils dans les problématiques de la Charte sociale européenne, en tant que prolongements des droits sociaux[8]. Reflétant ce syncrétisme dans ses dispositions mêmes, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ouvre des perspectives pratiques et contentieuses des plus intéressantes de ce point de vue.

Les éléments nourrissant la présente chronique, limitée à l’année 2012, sauf exceptions qui seront signalées, sont à considérer à la lumière de ces lames de fond de l’évolution du droit social dans ses rapports avec les droits fondamentaux. Cette chronique devrait permettre par ailleurs de donner de cette évolution des illustrations topiques, en même temps qu’elle en pointera probablement les limites. Le propos sera organisé en trois dimensions : certaines questions transversales seront examinées d’abord (II), avant que l’on aborde les questions de droit du travail (III) et celles, enfin, de droit de la protection sociale (IV). En rapport avec la densité des normes internationales et européennes dans les domaines considérés, les éléments de droit du travail domineront.

Jean-François AKANDJI-KOMBÉ

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[1] Il n’est qu’à voir que dans la plupart des ordres juridiques, et dans tous les ordres juridiques européens, ces sources du droit n’ont pas vocation à créer de droits acquis.

[2] V. A. Supiot, Critique du droit du travail, PUF, 2007, p. 67 et s.

[3] J.-P. Marguénaud : « Les incursions de la Cour européenne des droits de l’homme en droit du travail : une œuvre encore en demi-teinte », Revue de droit du travail, 2008-1/16 ; Du même auteur : « L’avènement d’une Cour européenne des droits sociaux (à propos de CEDH 12 novembre 2008, « Demir et Baykara contre Turquie ») », Recueil Dalloz, 2010/675. Et, concernant la France, du même auteur : « La chambre sociale de la Cour de cassation, pionnière de la diffusion de la Convention EDH en France », Jurisclasseur périodique (JCP) Social 2009.

[4] Sur ce mouvement, v. A. Supiot, L’esprit de Philadelphie : la justice sociale face au marché total, Ed. du Seuil, 2010. V. aussi : Bureau international du travail (BIT), Droits fondamentaux au travail et normes internationales du travail, Publications du BIT, 2004.

[5] V. par exemple, C.J. [G.C.], Kücükdeveci, 19 janv. 2010, aff. C-555/07.

[6] Cour eur. D.H., 9 oct. 1979, Airey c. Irlande, req. n° 6289/73.

[7] F. Sudre : « La protection des droits sociaux par la Cour Européenne des Droits de l’Homme : Un exercice de ” jurisprudence fiction ” ? », Rev. trim. dr. h., 2003/755 ; v. aussi C. Grewe et F. Benoit-Rohmer, Les droits sociaux ou la démolition de quelques poncifs, PU Strasbourg, 2003.

[8] J.-F. Akandji-Kombé : « The material impact of the jurisprudence of the European Committee of Social Rights », in G. De Burca & B. De Witte, Social rights in Europe, Oxford University Press, 2005, p. 89 et s.

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