
Références…
Jean-François AKANDJI-KOMBÉ : “Pour un renouvellement de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’homme relative à la liberté d’expression syndicale, ou La liberté d’expression syndicale, fille de la liberté syndicale”, Le Droit Ouvrier, n° 778, mai 2013.
Problématique…
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme laisse assez peu de place au doute quant au fait que la liberté d’expression syndicale est bien protégée par la Convention européenne des droits de l’Homme. Des observateurs parmi les plus affutés de l’oeuvre de la Cour avaient toutefois justement relevé, à l’occasion de l’arrêt Aguillera Jimenez, combien le droit ainsi mis à jour fait encore figure de « parent pauvre de la démocratie ». Cette affaire concernait l’expression de salariés syndiqués, via la presse syndicale. La Cour avait décidé de se placer, pour l’examen des griefs des requérants, sur le terrain de l’article 10 de la Convention, et avait appliqué un contrôle standard, très en deçà des exigences fortes de sa jurisprudence lorsqu’est en cause la liberté d’expression des journalistes ou la liberté de la presse. La conclusion s’imposait alors d’elle-même : aux yeux de la Cour, les syndicats ne méritent pas d’accéder à la dignité de « chien de garde de la démocratie » à l’instar des journalistes.
Tout en partageant les conclusions de ces fins connaisseurs de la jurisprudence européenne sur le caractère timoré de la démarche de la Cour, il nous semble que celle-ci est le signe d’un défaut de perspective plus préoccupant encore. Elle est, pensons-nous, révélatrice d’une conception éthérée de la démocratie qui laisse hors de son règne la démocratie sociale. On peut le déplorer intellectuellement. Mais on doit surtout souligner ce qu’elle a de concrètement et humainement dramatique par les temps de crise économique et sociale que nous traversons. Parce qu’elle signifie que l’expression syndicale qui a depuis l’origine été tenue, un peu à la manière des libertés d’association et d’expression dans la société politique, comme un des moyens de garantie des droits (sociaux), se trouve abandonnée aux lourdes menaces qui pèsent sur elle, et les droits sociaux avec elle. Parce que pareille conception montre aussi qu’alors qu’on avait cru avoir avancé à cet égard, l’idée européenne de démocratie manque encore, au moins pour partie, de sa chair sociale.
L’orientation qui sera prise ici n’a pas à voir avec l’idée que l’on se fait de la liberté d’expression. Pas de prime abord. Elle serait plutôt la résultante d’une certaine compréhension de la liberté syndicale telle qu’elle est consacrée par l’article 11 de la Convention.
Il sera considéré ici que la liberté d’expression syndicale doit être regardée comme une des composantes de la liberté syndicale telle que garantie par cet article ; que ce lien se déduit nécessairement de ce que la première procède de la finalité que la Convention elle-même fixe à la seconde ; qu’en effet l’article 11 ne se borne pas à protéger le « droit [de toute personne] de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats », il assigne aussi à ce droit un but qui est la défense des intérêts des membres du syndicat et, au delà, des intérêts professionnels ; qu’à cet égard la liberté d’expression syndicale ne se présente pas différemment des autres moyens d’action des syndicats, tels que la grève et la négociation collective, qui sont désormais reconnus par la Cour EDH et rattachés à l’article 11 ; et qu’enfin ce rattachement est nécessaire si l’on veut assurer à la liberté ici considérée une protection efficace, laquelle est hors de portée des dispositions conventionnelles relatives à la liberté d’expression (art. 10) et de réunion pacifique (article 11, première proposition), étant observé que ce niveau de protection déterminera en retour la valeur conférée à la liberté syndicale dans le processus d’édification de la société démocratique européenne.
La jurisprudence européenne n’abonde précisément pas en ce sens. A regarder la liberté d’expression syndicale au prisme des fondements qui lui sont assignés par le juge, elle ferait plutôt figure de liberté en errance (I). Et à considérer la portée qui lui est attribuée sur ces bases, on ne peut s’empêcher de penser qu’il en irait différemment, et mieux, sur le terrain de l’article 11 de la Convention (II).
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