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La Cour pénale internationale et l’Afrique : fantasmes et réalités

EXASPÉRATIONS…

L’exaspération ne cesse de monter en Afrique contre la Cour pénale internationale (CPI).

Elle est d’abord exprimée par les gouvernements africains qui s’en ouvrent régulièrement devant les instances de la CPI. Le dernier compte rendu de la réunion de l’Assemblée des Etats parties à la CPI (12e session, 20 – 28 novembre 2013, p. 13) en témoigne, si l’on veut bien dépasser les mots convenus par lesquels les sentiments éprouvés sont exprimés. On peut, en effet, lire dans ce compte rendu :

CPI“À sa quatrième séance, le 21 novembre 2013, lors de la discussion sur ce point de l’ordre du jour, les délégations ont confirmé l’attachement sans faille de la communauté internationale à la lutte contre l’impunité pour les crimes les plus graves touchant la communauté internationale. Un large consensus s’est toutefois dégagé sur le fait que l’Assemblée devrait envisager d’étudier des solutions pratiques compatibles avec le cadre juridique existant, qui permettent de répondre aux préoccupations exprimées par l’Union africaine. Il a également été question de l’équilibre subtil nécessaire en vue d’atteindre les objectifs de lutte contre l’impunité, d’une part, et de paix et stabilité, d’autre part, et des difficultés que cela représente dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’engager des poursuites. Un autre élément qui a été largement souligné au cours du débat est l’importance du principe de complémentarité”.

S’il n’était question que des gouvernements, le scepticisme serait permis. Mais le sentiment est de plus en plus partagé, par les élites, mais aussi par une frange de plus en plus large de la population de ces Etats, par des femmes et hommes “du commun” comme on se plairait à le dire en certains milieux.

Il faut, partant, s’en émouvoir. Se poser d’abord la question : y a-t-il des raisons à cela ? Certes oui. Pour preuve, l’état des affaires devant cette juridiction internationale, attestée par son rôle (les noms cités correspondent aux procédures lancées par la Cour (mandats d’arrêts) ou diligentées par elle à ce jour, informations tirées du site internet de la Cour) :

Situation en République démocratique du Congo

  • Thomas Lubanga Dyilo
  • Germain Katanga
  • Mathieu Ngudjolo Chui
  • Bosco Ntaganda
  • Callixte Mbarushimana
  • Sylvestre Mudacumura

Situation en République centrafricaine

  • Jean-Pierre Bemba Gombo
  • Aimé Kilolo Musamba
  • Jean-Jacques Mangenda Kabongo
  • Fidèle Babala Wandu et Narcisse Arido

Situation en Ouganda

  • Joseph Kony
  • Vincent Otti
  • Okot Odhiambo and Dominic Ongwen

Situation au Darfour, Soudan

  • Ahmad Muhammad Harun (“Ahmad Harun”) et Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman (“Ali Kushayb”)
  • Omar Hassan Ahmad Al Bashir
  • Bahar Idriss Abu Garda
  • Abdallah Banda Abakaer Nourain
  • Abdel Raheem Muhammad Hussein

Situation en République du Kenya

  • William Samoei Ruto et Joshua Arap Sang
  • Uhuru Muigai Kenyatta
  • Walter Osapiri Barasa

Situation en Libye

  • Saif Al-Islam Gaddafi et Abdullah Al-Senussi

Situation en République de Côte d’Ivoire

  • Laurent Gbagbo
  • Charles Blé Goudé
  • Simone Gbagbo

Dans cette liste, point de pays situé hors du continent africain. On peut alors comprendre que, se rappelant que les autres pays, occidentaux en particulier, et spécialement les États-Unis, se sont bien gardés d’adhérer au statut de la CPI, cette amertume s’apparente au ressentiment du contractant qui s’est fait flouer.

… MAL DIRIGÉES

CPI1Mais enfin la simple existence d’une litanie exclusivement africaine de prévenus ou d’accusés, toute déplorable que soit l’image qu’elle donne du continent, ne suffit pas pour approuver pareil ressentiment.

On peut même nourrir un sentiment inverse, pour deux raisons.

La première est que tout Etat est libre de ratifier les statuts de la CPI ; que les Etats dont les ressortissants sont ainsi attraits devant elle l’ont fait ; et que par conséquent ils sont liés de leur propre volonté ; qu’ils sont tout aussi libres de dénoncer leur engagement initial ; mais qu’ils s’en sont volontairement abstenus (Statut CPI, article 12 – paragraphe 1 : “Un État qui devient Partie au Statut accepte par là même la compétence de la Cour à l’égard des crimes visés à l’article 5”). Cela vaut plus encore pour les Etats qui n’ont pas, comme la Côte d’ivoire, ratifié le statut et qui, néanmoins, ont reconnu la compétence de la Cour (article 12 paragraphe 3 du statut : “Si l’acceptation de la compétence de la Cour par un État qui n’est pas Partie au présent Statut est nécessaire aux fins du paragraphe 2, cet État peut, par déclaration déposée auprès du Greffier, consentir à ce que la Cour exerce sa compétence à l’égard du crime dont il s’agit. L’État ayant accepté la compétence de la Cour coopère avec celle-ci sans retard et sans exception conformément au chapitre IX”).

J’ajoute, sentiment personnel, que ces Etats africains se sont honorés en se comportant ainsi, ce qui n’est pas le cas de ceux qui, intervenant militairement de par le monde et redoutant les “dérapages” de leurs soldats, se sont, pour ménager leur image autant que pour protéger leurs ressortissants, tenus à l’écart de l’institution de la justice pénale internationale.

Bref, les Etats africains concernés se sont engagés et il est dans la logique des choses et du droit qu’ils assument.

Mais, et c’est la deuxième raison, le renvoi devant la Cour de personnes accusées de crimes de guerre, de crime contre l’humanité et de génocide, et même peut-être, plus tard, de crime d’agression (le temps que celui-ci soit défini), n’est de plein droit que lorsque le Conseil de sécurité en a décidé ainsi (article 13 du statut). En dehors de ce cas, l’initiative appartient à l’État ou aux Etats concernés. Et c’est ainsi que les choses se présentent dans l’affaire qui défraye aujourd’hui la chronique, celui de l’ivoirien Charles Blé Goudé, chef des Jeunes Patriotes de la période Gbagbo. La traduction de celui-ci devant la CPI s’est faite conformément à une disposition du Statut qui implique une décision des autorités nationales : Article 14, paragraphe 1 du Statut : “Tout État Partie peut déférer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs des crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis, et prier le Procureur d’enquêter sur cette situation en vue de déterminer si une ou plusieurs personnes identifiées devraient être accusées de ces crimes”.

Que l’initiative appartienne ainsi d’abord aux Etats, c’est là une des manifestations du principe de complémentarité qui gouverne les relations entre la Cour et les juridictions des Etats. La CPI ne peut poursuivre qu’en cas de carence de l’Etat concerné, défaut de volonté de poursuivre de la part de celui-ci, ou sur invitation des autorités nationales. Il n’est pas inutile, à cet égard, de rappeler que, normalement, toute affaire sera, sen vertu de l’article 17 du Statut, jugée irrecevable devant la CPI, si :

  • elle fait l’objet d’une enquête ou de poursuites de la part d’un État compétent ;
  • elle a fait l’objet d’une enquête de la part d’un État compétent qui a décidé de ne pas poursuivre la personne concernée ;
  • la personne concernée a déjà été jugée pour le comportement faisant l’objet de la plainte.

Avantage à l’initiative nationale donc. En saisissant la CPI l’État exerce une faculté ; il n’est nullement obligé. La décision qu’il prend n’est pas commandée par le droit, n’est pas contrainte. Elle est donc avant tout une décision politique. C’est si vrai d’ailleurs dans le cas de la Côte d’Ivoire qu’en même temps que Charles Blé Goudé était transféré à la Haye, il a été décidé que Madame Simone Gbagbo, l’épouse de l’ancien chef d’État qui comparaît déjà devant la CPI, sera jugée dans le pays. On peut estimer que cette double décision est justifiée : que le jugement de Mme Gbagbo à Abidjan présente bien moins de risques de troubles que celui de Blé Goudé, ce dynamiseur – pour le meilleur ou le pire – des foules de jeunes. Mais on peut aussi soupçonner le Président Ouattara et son gouvernement d’essayer, en retenant la compétence des juridictions nationales dans le cas de Madame Gbagbo, de légitimer une autre décision, celle de soustraire à la justice internationale ceux, dans leur camp –  les commandants militaires de secteurs par exemple – à qui il est reproché d’avoir commis des crimes de même nature que Laurent Gbagbo ou Charles Blé Goudé.

Qu’on penche pour l’une ou l’autre des explications, la décision prise est et demeure politique, et nationale. Cela n’empêche certes pas de déplorer l’impossibilité d’engager une quelconque action internationale pour les crimes commis par des troupes occidentales  en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, ou encore en Lybie. Mais que cela n’aveugle pas au point de ne pas demander des comptes aux dirigeants africains de leurs calculs politiques, nobles ou mesquins, qui rendent l’intervention de la CPI possible !

JFAK

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